En suivant la Carretera Austral, la Ruta Siete, notre route était toute tracée ou presque. Du moins, nous n’étions pas soumis aux mille options d’itinéraires possibles car, à vélo, à moins de vouloir faire des dizaines de kilomètres aller-retour sur les ramifications de cette unique route, nous suivions une ligne relativement bien définie. Une route magique somme toute.
Mais maintenant que nous sommes arrivés au bout de cette route, où irons-nous ? Où nos vélos nous emmèneront-ils?
Il y a plus de questions que de réponses, mais nous avons une petite destination dans notre périscope: Pucón. Une ville dans la région des volcans chiliens dans le pays Mapuche, bien connue du tourisme, qui accueille d’ailleurs de plus en plus de nouveaux habitants de Santiago. La montagne, les lacs, les forêts, tout un environnement, hors de la grande capitale étouffante, maintenant accessible avec ce mode de vie “à distance” rendu possible par la période covidienne. Pour nous, c’est l’occasion de rendre visite à Milton, un ami Chilien aux origines Mapuche. C’est donc tout naturellement que notre route se dirige vers Pucón.
Il y a aussi l’Argentine qui nous fait envie, avec ses paysages plus secs voire quelque peu désertiques auxquels nous avions goûté lors de nos premiers kilomètres entre El Calafate et El Chaltén. On se prépare alors un petit périple de passages de frontière entrecoupé de ferries pour aller goûter au chocolat de celle qui se nomme la petite Suisse de l’Argentine. Cap sur San Carlos de Bariloche !
Pour s’y rendre, on décide de sortir du Chili par une petite porte, celle qui nous fera prendre 3 ferries entre Petrohue au Chili et Puerto Pañuelo en Argentine, un itinéraire qui, exempt de voitures, va quelque peu nous rappeler la frontière de Candelario Mancilla. C’est en tout cas ce que nous racontent Google Maps et Komoot quand on inscrit la destination de Bariloche depuis notre point actuel : Puerto Montt.
Mais la pluie commence à tomber, la saison sèche ne s’éternisant pas et l’automne étant aux abords. On choisi une petite hospedaje pour nos trois jours à Puerto Montt que nous essayons de mettre à profit pour notre pitstop habituel: recherche de matériel de réparation pour la manette de frein toujours cassée de Rosette, lessive dans la baignoire et espoir de la sécher dans la chambre, synchronisation de photos via le wifi, écriture de blog, petits restos et dégustation de nouveaux Pisco Sour, films sur Netflix avant de se coucher. Une vie comme à la maison. Enfin presque…
Après de chaleureux au revoir à Camilla qui nous avait si bien reçus. La petite station de vacances de Puerto Varas, doux mélange à la fois balnéaire et de montagne, nous accueille avec notre première piste cyclable chilienne, signe que la Patagonie semble maintenant bien derrière nous. La petite pause dans ce port de vacances s’éternise un peu; les rues ensoleillées y sont pour quelque chose. On se balade dans ces jolies ruelles et les produits achetés dans les shops bobo de cosmétiques remplacent les vieux savons tout mous que nous économisions. Les incontournables helados doblé plutôt que les simplé font le bonheur de nos papilles. Nous faisons une belle rencontre dans le super shop de vélo de voyage Rueda Al Sur d’où nous partirons avec une nouvelle sacoche top-tube commandée et qui sera livrée à Pucón dans deux semaines, et deux pairs de lunettes de vélo. Du shopping un peu cher mais qui fait bien plaisir. Après tout, on est aussi des touristes et on est aussi en vacances, parfois !
Les vélos retrouvés, on s’éloigne en direction d’Ensenada en suivant les bords du Lago LLanquihue pour une dizaine de kilomètres seulement et on plante la tente dans un des plus beaux spots sauvages. Un point de vue magnifique sur le volcan Osorno qui s’éteint gentiment dans un coucher de soleil rose de fin de journée. On rejoint Ensenada le jour suivant pour trois nuits dans un camping sympathique en attendant le départ de nos ferries.
On profite de cette nouvelle petite pause pour s’offrir l’ascension du volcan Osorno. Nous n’irons pas au sommet toujours enneigé, inaccessible sans réserver une excursion coûteuse avec guide, et préférons la voie sportive des 1’200 m de dénivelé à vélo sur la jolie route… bien raide ! C’est aussi le jour de nos 6 mois de voyage, une occasion pour laisser les sacoches au camp de base, et se faire tout légers et tout beaux avec nos maillots ASSOS rose et bleu qui sont souvent restés pliés en Patagonie. Les quelques rares voitures ne manquent pas de nous féliciter en nous voyant peiner dans ces portions à 15-16%. C’est vrai qu’on ne s’y attendait pas, mais la récompense d’arriver à la petite station de ski, arrêtée durant l’été, est magique ! La neige est à quelques centaines de mètres, la vue sur le lac offre un panorama de carte postale et l’alfajore du restaurant est juste trop bon !
L’agence qui vendait les billets de ferries pour rejoindre l’Argentine indique 2 options: la version normale où les touristes profitent d’un transport entre chaque ferry avec une nuit dans un hôtel en chemin, ou l’option Boat and Bike que nous choisissons évidemment. Sur le site web de l’agence, les visages tout souriants des cyclistes sur leur mountains-bike sont encourageants et il est écrit qu’il est possible de faire le trajet en une journée. Fastoche ! En plus d’avoir d’habitude de rouler sur ces routes de gravier, ce n’est pas 30 petits km de ripio qui nous font peur.
Le 3 mars, on quitte tôt Ensenada pour rejoindre Petrohué d’où partira le premier ferry prévu à 09:30. La doudoune est de mise, il fait froid ce matin. Mais c’est seulement le 4 mars que nous arrivons en fin de journée à San Carlos de Bariloche. Tout ne se passe pas toujours comme on le prévoit. Le premier ferry part avec une heure de retard, c’est un petit bateau sur lequel on dépose nos vélos sur le toit – no viento hoy dia, está bien, nous dit-on. Mais en voyant le noeud décoratif de la cordelette sensée tenir les vélos, j’escalade le toit et utilise nos élastiques pour renforcer un peu tout ça. Le capitaine n’est pas très content, mais bon, on parle de Björn et Sirius là, non ? Durant cette première traversée qui coupe des paysages fantastiques, volcans, forêts luxuriantes et lac bleu, on apprend que la petite ile nommée Isla Margarita au milieu du Lago Todos los Santos appartient à une famille suisse, la famille Roth, depuis plus de trois générations. Une histoire un peu compliquée semble-t-il où les héritiers se disputent aujourd’hui leur succession, mais ce qu’il est intéressant de retenir pour nous, c’est l’histoire de Ricardo Roth. En 1913, il acquiert l’entreprise de transport Andina del Sur et la transforme en entreprise de tourisme ce qui contribuera à maintenir la liaison andine entre le Chili et l’Argentine et participera à la création du premier parc national du Chili : Vicente Pérez Rosales.
Deux heures plus tard, en accostant de l’autre côté de ce premier lac, on comprend vite qu’il nous sera difficile de rallier l’Argentine en un jour, surtout en découvrant l’état de la route qui ressemble plus à une route 4×4 qu’à une piste de ripio. On passera la nuit devant un poste de carabineros qui n’apprécient pas trop de nous voir arriver. – No es un camping ! Après quelques négociations, on posera la tente dans une sorte de pierrier derrière la maison en regardant le carabinero nettoyer son pickup au jet d’eau sur son joli gazon verdoyant… Rappelons tout de même que nous sommes au milieu de nul part entre la frontière chilienne et argentine, une frontière où seuls les touristes dans des cars 4×4 transitent durant la journée et parfois, un ou deux cyclistes s’aventurent au delà de la Ruta 215, l’itinéraire usuel entre le Chili et l’Argentine qui emprunte le Passo Cardenal Antonio Samoré. On arrive donc le 4 mars au soir à quelques km de San Carlos de Bariloche après avoir souffert des 800m de dénivelé, à pousser le vélo quand la pente était trop raide ou les cailloux trop gros, mais surtout à profiter de cette région de montagnes et forets, vierges de tout, où seuls les embarcations touristiques naviguent sur les Lago Frias et Lago Nahuel Huapi.
La petite ville de San Carlos de Bariloche est à nouveau le genre d’endroit qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas. Avec un air de Gstaad, la petite Suisse de l’Argentine porte bien son nom: chocolateries, petits cafés bobo et restaurants où manger de la fondue au fromage. Bien que très touristique, c’est toujours sympa et contrastant avec l’authenticité d’un voyage à vélo. On y passera une nuit chez Gustavo, un chaleureux argentin qui nous accueille dans son hospedaje: Hotel El Koru, décorée avec goût et très bien tenue.
Ce qui nous amène en Argentine, ce n’est pas trop les chocolateries de Bariloche, bien qu’on en ait profité mais, l’envie de changer de décors. Quitter les forêts verdoyantes du Chili pour retrouver les paysages plus arides qu’offre l’Argentine à quelques dizaines de km de là et nous lancer sur le Beer Trail, du moins la portion entre Bariloche et San Martin de los Andes. Une micro aventure hors des sentiers battus, lassant la route des sept lacs à une autre fois, pour profiter des paysages argentins un peu plus dramatiques où les perces-oreilles qui s’invitaient souvent dans nos sacoches laissent la place aux petits scorpions. Après 3 jours en autonomie, en empruntant la Ruta 63 qui passe par le Passo Cordobá, on arrive à San Martin. Trois jours magiques dans des décors de plaines sèches où coulent des rivières cristallines, aux forêts verdoyantes en passant par des montagnes aux couleurs ocres. Trois jours, sportifs aussi, à pédaler dans la chaleur étouffante mais vite rattrapés par des vents froids quand nous arrivons à San Martin sur des vélos jaunes de poussière des routes sablonneuses empruntées. Il n’y a pas vraiment de brasseries sur le chemin et il ne faut pas espérer boire une bière à la fin de chaque journée, mais ce trail doit son nom aux multiples brasseries artisanales présentes à Bariloche et à San Martin. L’Argentine, on l’aime aussi pour ça ! Un peu plus relâchée, un peu plus fun. On peut s’offrir un bon burger dans une ambiance un peu saloon affichant quantité de bières pression IPA, APA, etc. Soit on choisi sa bière en consultant son IBU variant de 10 à parfois plus de 60, soit c’est la serveuse qui choisi pour vous et on n’est pas déçu !
Après 3 journées bien remplies à San Martin en attente d’une bonne fenêtre météo pour nous diriger à Pucón, on ferme cette petite parenthèse argentine en retournant au Chili par le Passe Hua Hum. Une journée à pédaler contre la montre pour attraper le ferry de 16h à Pirihueico. La douane chilienne passe au rayon X nos sacoches, nous retire nos quelques fruits et légumes et nous confisque nos bâtons de vélo en bois. Bien que ceux-ci viennent du Chili, ils ne peuvent plus y retourner, c’est la règle. On n’argumente car il faut y aller, le ferry n’attendra pas. On y embarque de justesse et, 2h plus tard, on plante la tente à Neltume. C’est sans doute le village le plus mort que l’on ait vu ! Tous les restaurants et supermecado sont fermés ou désaffectés, seuls quelques chiens aboient à notre passage. Au petit matin, bien qu’ayant anticipé la pluie, on se réveille sur un petit radeau qui flotte sur l’eau… Heureusement, la tente tient encore le coup mais les douches du camping seront notre petit refuge en attendant que la pluie cesse.
La pluie. Oui, on est revenu au Chili et la saison humide arrive à grand pas. Ces belles forêts qui laissent comme une odeur d’eucalyptus lors de notre passage et ces lacs ne sont pas le fruits du hasard après tout. C’est en pédalant dans cette région magnifique des volcans, face à l’imposant Volcano Villarrica, que je commence à me rendre compte que nous sommes en train de donner nos derniers coups de pédales en Amérique du Sud. Une vague d’émotion me gagne et je revois défiler ces deux mois et demi de voyage en Patagonie. Plus de 2’000 km en sillonner entre ces plaines, ces montagnes et ces forêts. Alors je regarde mes pieds qui tournent au rythme du pédalier et je repense à ce qu’on se disait quand on découvrait les premiers paysages de la Patagonie par le hublot de l’avion sur le vol WJ-3211 qui arrivait sur El Cafalate. On voyait cette région désertique balayée par des vents forts et on se laissait gagner par l’inquiétude de cette inconnue qui nous attendait: Qu’est-ce qu’on est venu faire ici ?
Il y a eu le vent, les premiers kilomètres sur le ripio, les montées, les descentes, et les deux mois sont passés. La Carretera Austral est derrière nous alors que nous doutions d’y arriver. Petit à petit, jour après jour, on essaie, on apprend, notre zone de confort s’agrandit et on avance. Les inconnues d’avant sont maintenant remplacées par des souvenirs. La Patagonie est un nouveau chez nous et on la quitte le coeur lourd. On sait qu’on y reviendra, ayant goûté à la baie indigène Calafate qui a donné son nom au village éponyme et dont la légende veut que quiconque en mange retournera à nouveau dans le paysage captivant de la magnifique Patagonie.
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