Journal de bord

5 novembre

07:00

Dimanche 5 novembre, le jour du départ tant attendu est là. Tout l’équipage est debout de bonne heure pour les derniers préparatifs avant de quitter le port. Pierrick profite du calme pour se lancer dans la préparation d’un pain avant que les vagues méditerranéennes ne rendent cet exercice plus périlleux. Un magnifique lever de soleil nous accueille pour cette journée particulière.

08:00

Après discussion avec Valérie la skippeuse du Thonic Dream, nous apprenons que Yannick, skipper coordinateur de la flottille qui devait faire un aller-retour express à Bilbao pour récupérer la balise de détresse du Thonic Dream, n’a pas pu prendre son avion cette nuit comme prévu. Le Thonic Dream attendra que son équipage soit complet pour prendre la mer pendant que Richard, notre skipper, décidera de partir malgré tout pour profiter de la bonne fenêtre météo prévue.

09:00

On largue les amarres du port d’Alicante après 3 jours à quai pendant lesquelles on a fait connaissance avec les équipages de nos deux bateaux autour de chouettes apéros chez les uns et les autres. Le ravitaillement et le plein de fuel sont faits.

Pendant ce temps, mes deux premiers pains refroidissent sur les grilles pour accompagner le futur repas de midi.

13:00

L’équipage est réuni sur le pont pour partager le premier repas en navigation, le « borsch » une soupe ukrainienne préparé avec amour par Sergei, la veille au soir et qui selon lui se mange toujours le jour d’après. Sergei est un membre de l’équipage du Thonic Dream, un des deux autres catamarans faisant route avec nous dans la flottille.

18:30

L’après-midi a été très difficile pour moi tant nous avons été secoués par les vagues et la houle en remontant le vent. Nous connaissons bien la règle des 5F contre le mal de mer (Faim, Fatigue, Froid, Frousse et Foif) mais rien n’y faisait. J’avais beau scruter l’horizon comme il est conseillé de faire, les nausées ne lâchaient pas l’affaire. La simple vue des encornets soigneusement préparés par Yves pour le dîner aura eu raison de moi, et le seau bleu a été inauguré et baptisé. La nuit sera tout aussi difficile, on avait l’impression de découvrir le programme nettoyage intensif de la machine à laver depuis l’intérieur.

6 novembre

12:00

Rosette est toujours nauséeuse au réveil mais ça se dissipe gentiment au courant de la journée. Richard l’encourage à prendre la barre ce qui lui fait du bien et même très plaisir. Une heure plus tard, elle avait gagné son surnom de « pilote automatique Rosetta »!

16:00

Tout le monde se retrouve dans le Fly pour partager un moment lecture et contemplation, allongé sur les banquettes. Nous sommes gratifiés d’un magnifique coucher de soleil pour cette deuxième journée de navigation. 

20:00

À la tombée de la nuit, je me sens à nouveau particulièrement mal et retrouve le seau qui m’est maintenant attitré. Tout le monde me taquine sur le fait que mon mal de mer semblait parfaitement chronométré pour me dispenser des quarts de nuit! J’arriverai tant bien que mal à avaler quelques pâtes nature, sans la belle sauce bolognaise préparée par Yves, et à tenir mon premier quart.

20:15

Affairés à la manœuvre du bateau, nous remarquons que l’écoute de GV est abîmée à un endroit. Nous décidons qu’il serait plus sage d’affaler la GV pour la nuit et t’attendre le jour pour la réparer. Cette décision nous vaudra toutefois de perdre notre avancée, ne pouvant pas profiter du vent qui affichait 20 noeuds! Thonic Dream en ont, eux, bien profité, et nous les voyons nous rattraper puis nous dépasser sur notre cartographie Predict Wind. Nous apprendrons le lendemain qu’ils auront essayé de nous contacter et de nous faire signe à plusieurs reprises; mais nous n’avons pas intercepté ces signaux. 

7 novembre

08:00

Aujourd’hui marque le premier anniversaire à bord: celui d’Yves! Nous profitons de l’éclipse de notre chef cuisinier dans sa cabine pour lancer rapidement un cake au citron pour l’occasion. C’est sur des airs de Joyeux Anniversaire que nous l’accueillons par la suite et cueillons son sourire surpris.

10:00

Pierrick et Yves accompagnent Richard pour aller réparer l’écoute de la GV pour pouvoir la hisser à nouveau et gagner un peu de vitesse après cette nuit mouvementée. On l’a coupée et frappée à la première poulie, perdant ainsi une démultiplication mais ça devrait tenir.

13:00

Omelette au chorizo espagnol et salade pour le repas, simple, léger et bon!

19:00

Nous arrivons de nuit dans la baie de Gibraltar où nous commençons la longue avancée jusqu’à notre port de plaisance côté espagnol. On slalome entre les énormes bateaux au mouillage ou en mouvement. Ça nous prendra une heure pour nous amarrer à notre ponton et retrouver la terre ferme après 3j de navigation. Après toutes ces secousses, quel bonheur de sauter à terre! Une terre qui semblait déjà bien tanguer, à notre grande surprise. 

20:00

Nous sommes contents d’apercevoir le Thonic Dream amarré sur le ponton d’en face. Ils finissaient leur repas et avaient prévu de reprendre la route cette nuit pour s’assurer de ne pas manquer les vents favorables qui s’annonçaient à la sortie du détroit. De notre côté, rien ni personne ne nous aurait fait quitter notre place bien douillette au port! Nous sommes extatiques face à la perspective de passer une vraie nuit de sommeil au calme, sans houle, mal de mer, quarts de nuit et tout ce qui s’ensuit.  

21:30

Un dîner sans secousses est aussi bienvenu, d’autant plus qu’il s’agit du dîner d’anniversaire d’Yves qui a préparé pour l’occasion un gigot d’agneau et des aubergines fondantes. Un régal! Le cake au citron arrosé de sirop au citron clôturera cette belle journée. 

8 novembre

09:00

La nuit fut effectivement magnifique! Pas un bruit n’est venu perturber le sommeil de notre vaillant équipage qui a pu se ressourcer et qui est maintenant prêt à repartir! Mais avant cela, le pit stop s’impose. Nettoyage de fond en comble du bateau par Richard et moi (passage du pont au jet d’eau douce, aspirateur, lavage main d’une partie de nos affaires et des Iinges de cuisine) pendant que le reste de l’équipage était aux courses.

11:00

Nous sommes fin prêts à partir et il ne manque que le plein à faire. Plein qui nécessitera finalement presqu’une heure de temps tant nous avions de la peine à repérer la station essence qui nous était dédiée. Elle était finalement à côté de la douane et le fuel était à prix plus qu’avantageux. Nous quitterons enfin Gibraltar et entrerons dans l’atlantique au portant, appuyé au moteur.

13:00

Nous blaguons toujours sur notre traversée aux airs gastronomiques rendus par la présence d’Yves, chef cuisinier étoilé Michelin. Ce midi ne déroge pas à la règle avec un plat tout en couleur: de belles crevettes servies sur un lit de nouilles de riz et accompagnées de poivron, avocat et concombre.

17:00

Je fais des propositions de quarts que je propose à l’équipage. Nous nous mettons d’accord sur le fait de faire des quarts de 2 heures pour s’assurer de pouvoir rester alerte pendant la veille, et d’être deux à surveiller le bateau les nuits mouvementées, et seul lorsque les conditions sont clémentes. Un impératif s’impose pour les quarts: le gilet de sauvetage et la longe attachée à la rambarde.

19:00

Soleil rouge couchant. On se presse de faire les derniers coups de fils à la famille et aux amis (Matteo, Mathieu, Alban, Tatiana, etc) avant d’être complètement privés de connexion internet.

21:00

Je prends mon tout premier quart de veille! Pas mal de bateaux s’affichent sur le gps et je prends bien soin de vérifier que notre route s’écarte de celle des autres bateaux. Il faut aussi constamment regarder autour de soi pour vérifier que les lumières visibles correspondent bien à la cartographie, et qu’il n’y a pas de filets de pêche à éviter. Quand il y a du trafic maritime, les deux heures de veille passent vite et on n’a pas le temps de s’ennuyer! Pierrick vient me relayer à 23h, un gros bisou et au lit avant de reprendre le quart de 7h du matin.

9 novembre

06:45

Je me réveille un peu fatiguée de ma nuit et me prépare un café avant d’arriver sur le pont pour reprendre la relève à Yves. Le bateau dort encore et il fait toujouts nuit. Le monde appartient à ceux qui se lève tôt prend tout son sens quand on a la chance de voir se lever le jour au milieu de l’Atlantique. Je savoure ce moment.

09:00

Alors que le soleil se lève sur l’Atlantique, la terre est hors de vue maintenant. Bercés par une longue houle, il reste encore une heure dans le deuxième quart de Rosette. Une heure plus tard je pointerai son nez du velux de ma cabine en regardant tout le monde à table sur le pont en train de finir leur petit-déjeuner.

10:30

Alain nous raconte les histoires avec ses enfants quand il partait en Espagne avec un petit dinggy gonflable de 20CH faire du ski nautique ou partait en exploration sur 2-3 jours avec la tente en Méditerranée avec ses enfants.

11:30

Après avoir lancé la ligne, pas le temps de l’attacher au bateau que la première bonite avait mordu l’hameçon. Moment d’émotion quand Rosette voit le poisson de 40cm bouger dans les mains de Yves. Il n’a pas fallu long pour qu’elle disparaisse dans le Fly en haut du bateau. 30min plus tard les 4 filets sont au frais, en attente d’être préparés. Nous en dégusterons un ce midi, cuisiné à la tahitienne, avant les cornes de bœuf farcies préparées par Yves quelques jours plus tôt et congelées.

14:40

Bercés par les grandes et impressionnantes ondulations de la houle qui font régulièrement disparaître l’horizon, Rosette ainsi que Yves, Alain et Richard font une petite sieste digestive alors que je profite de me plonger dans la lecture de Guillaume Musso: Et Après

16:30

Deuxième bonite de pêchée sous l’œil cette fois-ci de Rosette qui apprend avec Yves comment lever les filets à même le pont.

Rosette et moi les cuisinerons en poke bowl avec un riz façon sushis. En dessert, Yves nous sert son riz au lait au caramel beurre salé.

21:30

Rosette a commencé son premier quart il y a 30 min et je vais me coucher en attendant le mien dans 1h30. Maintenant que nous sommes à la voile en route à 6 noeuds avec les moteurs éteints, c’est impressionnant tous les bruits d’eau qu’on peut entendre. On a l’impression de dormir dans une baignoire géante.

23:56

Alors que je suis au milieu de mon quart, je vois la lumière de la cabine de Richard s’allumer et 2 minutes plus tard il est devant moi près à prendre la relève. Et je lui dis: « mais qu’est ce que tu fais là, il n’est pas encore 1h du matin? ».

Étonnés, on contrôle son réveil se demandant si le fuseau horaire n’aurait pas changé, mais non, il s’est juste trompé d’heure et repart se couché. Une heure plus tard, Richard est de retour et je le laisserai avec un autre voilier pas loin de nous, à essayer de contourner les lampes de filets au loin prenant un cap au 300 pendant 2h.

10 novembre

08:30

Première matinée nuageuse, on entraperçoit quelques rayons de soleil qui percent à travers la brume. Au loin on aperçoit de petits drapeaux rouges qui indiquent la présence d’un filet de pêche. Ne sachant dans quelle direction il va, on fait demi tour pour nous laisser le temps d’y voir plus clair. Quelques minutes plus tard, on reprend le bon cap en évitant de couper entre les drapeaux pour ne pas se prendre dans le filet. À quelques encablures, on aperçoit le bateau de pêche. Une petite barque munie d’un moteur où deux hommes s’affaires à remonter le filet. Le bateau est si petit qu’on a de la peine à croire qu’ils sont là, à plus de 40 miles des côtes. À cette distance il faut environ 5 à 8 heures pour revenir au port.

16:00

Dans une molle tenace, l’embarcation avance au moteur, propulsée à bas régime à 5 noeuds pour préserver le fuel. On est tous dans le carré à débattre sur des sujets variants entre l’histoire des guerres, la société qui change, la langue française, la cuisine, etc. Quand tout d’un coup Pierrick se lève d’un bon et s’écrie: Dauphins !

Tout le monde armé de son appareil photo se lance vers les étraves du bateau pour voir une belle famille d’une douzaine de dauphin jouer sous le trampoline et faire des sauts ici et là devant le bateau. Rosette pleine d’émotion crie de joie en voyant ces petits mammifères marins.

17:00

Le safari aquatique continue en voyant dériver une petite tortue. On fera un demi tour pour apprécier ce rendez-vous au bonheur une nouvelle fois de Rosette qui ne retiendra pas son émotion.

22:00

Comme les nuits précédentes, le vent se lève une fois que le soleil est couché, nous laissant l’impression que ces deux comparses sont en froid et font tout pour s’éviter. Les étoiles ont déserté le ciel, nous laissant dans une nuit noire et bien humide, avec du crachin comme diraient les bretons. Nous sommes heureux de pouvoir à nouveau naviguer au travers après plusieurs heures au moteur aidant et voir la vitesse affichée grimper les échelons. Très peu de bateaux à l’horizon et deux bateaux fantômes qui apparaissent pour disparaître quelques instants plus tard, peut-être dû à une batterie faiblissante. Richard a pu faire une nuit « complète », réveillé à l’heure exacte pour son quart et pas sollicité pour les autres quarts. Une belle première nuit entièrement à la voile, ça fait plaisir!

11 novembre

07:00

Pierrick avait un quart à faire à 7h00 et en a profité pour finir la préparation de ses croissants commencés la veille. Des croissants fait maison, notre boulanger en titre nous gâte! Il les a cuit un peu plus tard, au réveil d’Alain qui affichait son grand sourire habituel. La joyeuse équipe se retrouve dans le cockpit pour déguster un petit-déjeuner royal: pain et croissants faits maison, beurre, miel, confiture, fromages, jus d’orange frais pressé acheté à Gibraltar, café fumant à la cafetière italienne, yaourt grec. Que du bonheur! 

09:00

Ciel couvert et grande houle qui fait disparaître l’horizon et nous donne l’impression d’être un petit bateau en silicone balloté au rythme de remplissage d’une baignoire. Je file me réfugier sous le Fly pour couper court au mal de mer que je sentais s’insinuer en moi. 

11:00

Je me bas encore contre le mal de mer et espère qu’il finira par passer. Moment super sympa d’échange avec Alain à qui je raconte ma famille au Liban et ma naissance prématurée au milieu d’un Liban en guerre, et où je l’écoute avec émerveillement me conter son périple en auto stop à travers les États Unis et l’Amérique centrale, au début des années 80. Conteur hors pair plein d’humour avec son foulard noué autour du cou, il a toujours une histoire à sortir de son gilet!

16:00

La journée se termine sans grands événements. De grandes siestes pour certains dans cette houle où le vent a forci en se dirigeant vers les Îles Canaries. Pierrick prépare des fajitas pour ce soir que nous dégusterons à l’intérieur avec un petit rhum, à l’abri de l’humidité ambiante qui règne sur le pont.

19:30

Comme nous faisions route au moteur, Richard propose de continuer à la voile pour manger plus au calme. Il monte avec Yves pour l’aider à mettre le mode auto pilote en mode voile. Après quelques minutes, en bas en train d’attendre leur retour, on entend plein de bruits. Pierrick monte aussi pour comprendre ce qui se passe et apporter de l’aide si besoin. Là haut c’est le mode panique. L’auto-pilote reconfiguré par Yves est difficile à mettre, le bateau tourne sur lui même plusieurs fois, la bôme claque très fort avec ces deux empannages involontaires. À ce moment le vent souffle fort, l’anémomètre affiche 23 noeuds, le bateau devient incontrôlable. En bas avec le fracas de la bôme, le produit vaisselle est tombé et s’est vidé à moitié derrière le plan de travail pendant qu’Alain et Rosette essayaient tant bien que mal de retenir les assiettes de voler en éclat. Pierrick a l’impression que l’écoute de GV est cassée, difficile à dire dans la nuit et avec la pluie. On décide d’affaler pour y voir plus clair demain. On retrouve un cap plus facilement au moteur qu’on gardera jusqu’au matin. 

23:00

Le mal de mer a eu raison de Rosette qui retrouve son seau et doit interrompre son quart pour aller s’allonger. 

12 novembre

00:30

Je suis à mon quart, seul dans la nuit avec le souvenir de ce qui s’est passé dans la soirée. Je décide de comprendre où en est le gréement. J’éclaire la bôme à lampe torche: les bosses de ris pendent jusqu’au franc-bord, la bôme semble stable mais en position bizarre tout de même et c’est en éclairant la tête de mat que je remarque la balancine flotter au vent à travers les haubans. Voulant éviter d’autres problèmes, je m’’attache avec des sangles et part sous la bôme pour attraper un ris pensant l’utiliser comme amarre de la bôme que je frappe comme je peux, mettant en tension la bôme de l’autre côté de l’écoute. Elle ne devrait plus bouger pour la nuit. Au matin, on comprendra que la balancine qui n’était plus retenue à son taquet avait déposé la bôme sur le toit du poste de pilotage. 

08:00

Ciel très couvert. Le vent est retombé à 7-8 noeud. On en profite pour hisser la GV, tout se passe bien, pas de casse malgré les bruits assourdissants de la veille. Seule la contre-drisse de GV a perdu une partie de sa gaine. Rien de grave.

10:30

Richard connecte son iPhone au Bluetooth du bateau et nous passe de super chansons des années 70 à 90, Nino Ferré, Michel Polnareff, des reprises de Mickael Jackson, ça met beaucoup de gaité dans le carré. Un peu plus tard dans la matinée, les nuages se dissipent pour laisser place à un beau soleil qui nous fait bcp de bien après ces deux journées de grisaille!

19:30

Pendant l’apéro, les chansons empreintes de nostalgie défilent dans le carré dans une joyeuse ambiance, jusqu’au moment où Alain prend la main et nous lance un “Aventurier” qui met le feu au dance floor! Moment de fou rire lorsque Richard se déhanche sur la piste!

21:00

Après la chakchouka du soir et une petite partie de poker menteur, Pierrick prend le premier quart. Après 10min, on sent que le vent entre et on coupe les moteurs pour entamer la nuit au calme, les 5-7 noeuds de vent apparent sont justes suffisants pour garder les voiles gonflées.

22:55

Rosette s’est levée pour son quart, pour profiter d’un peu de temps ensemble on reste tous les deux sous le fly jusqu’à 1h du matin. C’était un très chouette moment qu’on a eu, au milieu de la nuit, à discuter de plein de choses, de la vie ici à bord ou de ce que sera la grande traversée si loin des côtes.

23:40

Un remorqueur pointe sur notre écran AIS se dirigeant droit sur nous. On compte environ une heure pour qu’il soit sur nous. Il passera soit devant soit derrière nous mais dans tous les cas, si ni l’un ni l’autre ne bouge le croisement des routes sera proche. Normalement c’est le rattrapé qui est privilégié mais que se passera-t-il si le remorqueur maintient son cap malgré tout? Deux options s’offrent à nous: soit on reste où on est et on le laisse changer de route s’il estime passer trop près de notre catamaran, soit on change de bord s’écartant ainsi de sa route pour lui laisser la place. Mais cette option n’est pas si simple car nos vitesses sont différentes et la distance avec lui encore grande; en changeant de cap maintenant on n’arrive pas à savoir si on va réellement s’écarter ou se mettre plus encore sur sa route. On décide d’attendre pour y voir plus clair une fois qu’il sera plus proche de nous.

Finalement, à 2M de lui, on estime visuellement qu’il coupera notre route devant nous à environ 1M; on reste donc sur notre cap et on s’évite ainsi un empannage. On voit donc passer sur notre tribord sa lumière rouge bâbord nous indiquant que tout devrait bien se passer. 20 min plus tard il est devant nous, l’affaire est réglée.

13 novembre

17:00

Je prends mon téléphone et me connecte au wifi de l’iridium pour voir si l’application fonctionne toujours; je l’avais installée quelques jours auparavant pour fixer le problème de trace GPS qui ne fonctionnait pas. Lorsque je me connecte au réseau iridium, je reçois une déferlante de messages de Thonic Dream. Pour une raison inconnue, les messages n’apparaissent pas sur la tablette de bord mais uniquement sur mon iPhone. Les passagers de Thonic s’étaient inquiétés et nous avait envoyé plusieurs messages sans réponse car quelques jours avant nous n’avancions qu’à 1.5 noeud au moteur et contre le vent. La GV était affalée cette nuit là suite à l’incident de l’autopilote et Thonic qui était derrière nous nous avait dépassé cette même nuit. Ils ont essayé par tous les moyens d’entrer en communication avec nous et n’ont reçu qu’un silence radio en retour. Ils nous voyaient bien sur l’AIS tandis que nous restions dans notre petite bulle coupés du monde.

14 novembre

07:00

Terre en vue!!! Après plusieurs jours en mer avec pour seul cadre l’horizon et la houle, l’émotion est palpable lorsqu’on aperçoit se dessiner au loin l’île de Tenerife. 

10:20

Nous entrons dans le port Las Galletas le torse bombé, en marins heureux de notre traversée! Nous renflouons les réservoirs de fuel en vue de notre prochain départ et retrouvons notre place réservée par Clément quelques jours plus tôt. Retrouver la terre ferme nous fait toujours un drôle d’effet et nous réalisons que nous tanguons pas mal et compensons beaucoup avec des mouvements de va et vient sur nos jambes! 

11:30

À peine amarrés que le nettoyage du bateau est lancé! Richard sort le produit spécial pont et nous astiquons notre beau bateau pour le débarrasser de la couche de sel qui s’était bien amassée sur sa coque blanche. Nous frottons aussi le bimini rendu tellement opaque par l’air salin et les éclaboussures de la mer qu’on ne voyait presque plus à travers. Un nettoyage de fond en comble du carré s’impose aussi. Ça fait du bien!

14:00

Le ménage du bateau fait, nous avons hâte de nous poser sur une terrasse face à l’océan et déguster une sangria, une cerveza et des croquettas bien méritées! Valérie et Gaël du Thonic Dream sont à la table d’à côté et nous échangeons sur nos traversées respectives et partageons les anecdotes à bord, jusqu’à ce qu’un jeune homme nous aborde avec un grand sourire « Pierrick et Rosette? Moi c’est Timothée, le dernier membre de votre équipage! ». On est super content de le rencontrer et on l’invite à se joindre à nous pour faire connaissance autour d’un verre. Il est Corse et habite aux Pays-Bas depuis quelques années, où il travaillait dans une ONG. Il a quitté son emploi et a aussi décidé de prendre un congé sabbatique pour voyager. On rigole bien à réaliser comme ses envies font écho aux nôtres et, on peut même dire, à celles d’une bonne partie de notre génération qui n’appréhende plus la vie professionnelle de la même manière. En quête de plus de sens, nous réalisons que la vie passe trop vite et qu’il faut se hâter de la vivre pleinement avant qu’elle ne nous passe à côté en nous faisant signe de la main, pendant que nous sommes affairés à d’autres occupations. 

15:00

Alain nous rejoint sur notre petite terrasse de bistrot pour un verre puis l’on voit aussi débarquer Richard. Toute l’équipe est contente de découvrir que Timothée se fondera magnifiquement bien dans notre équipage et a hâte qu’il rejoigne notre bateau! Une Transat, c’est une belle expérience de navigation mais c’est avant toute chose une magnifique aventure humaine à vivre.

17:30

Rdv vers la capitainerie pour un apéro collectif avec tous les membres des équipages sur place où un bon ponch nous attendait! L’occasion de dire au revoir à ceux pour qui la traversée s’arrête ici et d’accueillir les nouveaux marins. Plusieurs personnes rejoignent l’équipage du Thonic Dream et l’ambiance qui règne est des plus sympas. 

19:30

La joyeuse équipe se rend ensuite au resto Punto Azul pour déguster des mets péruviens magnifiquement bien choisis par Yannick qui a longtemps vécu en Amérique latine. Pisco sour, frites de yuka, ceviche de poisson, beignets de poisson, causa de pollo, mets au curry, un délice! On retourne au bateau un peu pompette et heureux de pouvoir s’offrir une vraie nuit au calme et sans quarts.

15 novembre

10:00

Au menu du jour: lessive et courses! Je fais l’inventaire de tout ce qu’il nous reste comme nourriture avec Timothée, puis nous nous adonnons tous les 5 au jeu du choix des menus à cuisiner pendant la traversée. A côté des traditionnelles pâtes, lasagnes et salades de riz, s’invitent quelques plats plus exotiques, mexicains, libanais et thaï. On a hâte de goûter au curry d’Alain qui habite en Thaïlande depuis de longues années déjà! 

11:00

Pierrick va à l’assaut de la petite monnaie pour faire la lessive à la laverie du coin. Pendant que la lessive tourne, « t’as pas un petit creux? On retourne au resto d’hier? ». Il n’en a pas fallu long pour se retrouver devant les mêmes mets que la veille et apprécier une nouvelle fois cette délicieuse cuisine péruvienne. 

15:00

Notre liste à la main, c’est parti pour les courses de ravitaillement en vue de la grande traversée! Pierrick, Alain, Timothée et moi allons au supermarché le plus proche et nous distribuons les tâches et les rayons. Après avoir rempli 3 caddies, nous emportons les produits frais et faisons livrer pour le lendemain les produits secs. 8 caissons de transport au total et un ticket de caisse qui fait une belle écharpe à Timothée! 

18:00

Richard nous convoque pour nous informer qu’une nouvelle équipière va nous rejoindre. Nous qui venions d’accueillir la veille Timothée pensions notre équipage complet. Tim, qui pensait récupérer la cabine d’Yves, devra partager celle d’Alain. Mince. On nous dit qu’initialement, notre équipière devait être une certaine Claire arrivant en avion samedi matin très tôt, mais l’affaire se passe différemment: elle ira sur Titom et Françoise de Titom embarquera sur Pegasus. Tout le monde est surpris par cette nouvelle et attend la suite des événements. 

19:00

Ce soir c’est repas en équipe sur le bateau! Avant de se retrouver autour de bons croque-monsieur (la version de notre capitaine est recouverte de crème et de fromage râpé avant d’être passée au four, miam!) nous faisons un saut sur le ponton d’à côté pour un coucou à l’équipage du Titom qui venait d’arriver à Tenerife! Partis d’Ibiza quand nous étions à Alicante, ils naviguaient derrière nous. L’occasion de rencontrer Françoise qui partagera la suite de l’aventure avec nous!

16 novembre

09:15

Après le petit déjeuner, nous voyons arriver Françoise avec ses deux valises, le sourire aux lèvres. C’est une dame de 75 ans avec l’énergie d’une jeunette de 35 ans qui a beaucoup voyagé à travers le monde et recèle d’histoires trépidantes à raconter! On fait connaissance, les liens se tissent et on se dit bien vite qu’on a beaucoup de chance de la compter parmi nous.

10:30

Rosette arrive de son petit footing, le dernier avant la traversée. Je la jalouse un peu mais je devais m’occuper de finir quelques choses sur le bateau. Entretemps, Alain est parti chercher la voiture qu’il a louée pour nous embarquer au « El Teide », le volcan de l’île qui culmine à près de 4000m de hauteur. Le sommet ne peut pas être atteint sans autorisation mais un téléphérique emmène les touristes pour 40.- aller-retour, après une ascension en voiture de plus d’une heure jusqu’à 2300m où se trouve le départ des installations. On rejoint donc Alain qui nous attend au café. Le petit groupe de Rosette, Françoise, Alain et moi est heureux de partir à l’aventure!

13:30

On arrive au départ du téléphérique mais ne pouvons le prendre car tout est complet pour la journée. Je ne suis pas mécontent car je n’avais pas très envie de payer les 40.- aller-retour en express. On profite pour manger ensemble au restaurant de la station. On fait encore mieux connaissance avec Françoise qui nous raconte plein d’histoires avec une petite pointe d’humour. Une vie incroyable et inspirante, pleine d’aventure!

14:30

On reprend la route mais direction Santa Cruz, la grande ville de l’île du côté opposé à notre port. En effet, quelques taches nous incombent avant le départ, Alain est toujours à la recherche d’un Kindle et il nous faut encore faire quelques courses pour compléter celle de la veille.

20:45

La location de la voiture se terminait à 20h46 et voilà qu’on ramène la voiture une minute avant l’échéance pour terminer une journée à sillonner l’île du sud au nord puis d’ouest en est pour revenir vers le sud à Las Galletas! Alain a conduit les 230km, le Kindle complète l’attirail technologique de notre ami, les dernières courses sont rangées et débordent des placards. Fatigué, on se dirige tous vers le premier restaurant qui fait de la paella pour le traditionnel repas d’équipage la veille du départ, avant de rejoindre nos cabines. 

17 novembre

08:30

La fatigue de la soirée de hier soir se lit sur les petits yeux de l’équipage. Mais tout le monde sait que Richard veut partir le plus tôt possible, alors tout le monde court partout, il y a encore plein de petits trucs à régler comme l’iridium qui ne fonctionne plus, du matériel de pêche à compléter, les poubelles à sortir, …

11:00

Thonic Dream sollicite mon aide pour un souci également rencontré avec leur iridium: ils n’arrivent pas à voir les traces des autres bateaux mais après 15min de recherche il n’y a rien à faire, je quitte leur bateau et vois Thonic partir vers la station essence pour un ultime plein. C’est là que Richard nous dit: tout le monde à bord on y va aussi.

11:30

Comme il nous manque du beurre pour faire des croissants, Rosette et moi partons vite en acheter avant le départ, on revient 15 min plus tard avec 3 paquets de glaces Magnum. Et pourquoi pas, on a un joli congélateur à bord 😊

12:00

Richard nous réunit sur la pont pour le départ. On a l’impression de ne pas être prêt, tout semble précipité mais voilà, on lâche les amarres et Pegasus quitte son ponton. Je suis à la barre pour la sortie du port, Thonic Dream vient de finir leur plein et c’est tout joyeusement que les deux cata hissent leurs voiles. Titom doit malheureusement attendre la dernière équipière qui n’arrivera que le lendemain matin à 3h. Ils projettent un départ en fin de journée.

13:15

On est surpris de voir à quel point la houle est différente de celle à laquelle on s’était habitué jusqu’ici; avec une ondulation plus longue et des vagues plus hautes, on dirait que l’océan a d’autres choses à nous dire. Timothée prend ses marques sur le catamaran à la barre tandis que Rosette et moi descendons cuisiner la viande hachée qui ne peut plus attendre. Au menu: Sbenigh w riz pour faire découvrir ce plat libanais à l’équipe.

17:30

La journée s’est bien passée. Les vents sont plus forts qu’avant et le bateau va à plus de 7 noeuds de moyenne. Étrangement Thonic Dream n’a pas suivi l’allure et on les distance gentiment de quelques miles. En cuisine, Timothée nous cuisine des gnocchis à la tomate pour le bonheur de tous. Des goûts simples qui font du bien, contrastant avec les plats en sauce cuisinés par Yves qui, même s’ils sont bons, devenaient écœurants à la longue.

19:30

On se prépare des quarts fixes de 2 heures qu’on va répéter pour trouver un rythme. Richard qu’on doit parfois réveiller la nuit prendra celui de 20:00-22:00, s’ensuit dans l’ordre toutes les 2h et jusqu’à 8h du matin, Rosette, Pierrick, Alain, Françoise et Timothée. À la fin de chaque quart on reste encore en standby dans le carré si la personne qui veille a besoin d’aide.

22:00

Je prends mon premier quart de cette deuxième partie de traversée et suis émerveillée de découvrir un ciel d’une clarté telle qu’on voyait les millions d’étoiles qui touchaient presque l’eau de toutes parts du bateau. Je suis contente de trouver Alain sous le fly! Pas de bateaux sur un rayon de 15 voire 25M, la nuit s’annonce bien calme. Nous en profitons pour refaire le monde et se raconter d’autres pans de nos vies respectives. J’en apprends encore plus sur sa vie trépidante entre la Belgique et la Thaïlande, sur ses enfants, sa compagne. On ne voit pas le temps passer et on est presque surpris de voir Pierrick débarquer à minuit. Alain file se coucher, il doit reprendre la veille à 2h!

18 novembre

08:00

Je n’ai pas fermé l’œil cette nuit et la journée va être dure pour moi. Bien que la nuit s’est bien passée, je n’ai pas réussi à m’endormir à cause du bateau bougeait beaucoup…

10:00

Une envie de cuisiner me prend et je me lance dans un cake salé à la feta, courgettes et tomates séchées. Accompagné d’une salade, il a fait le bonheur de tout le monde même de Tim qui disait ne pas aimer ça d’habitude! La farine sans gluten y est peut-être pour quelque chose. En dessert: flan déstructuré à la manière de Pegasus, préparé par Françoise. Il n’en est pas resté une goutte!

15:00

L’après-midi se passe très agréablement, sur les rythmes festifs de la musique brésilienne pendant qu’on se relayait à la barre. On reçoit l’appel d’un trimaran qui nous propose de se connecter au canal 64. Ils sont français et disent nous suivre depuis Marseille! Étonnant parce que nous n’avons pas remarqué leur bateau sur l’AIS, peut-être qu’ils n’y apparaissent pas? Ils nous posent plusieurs questions, notamment combien nous sommes à bord et où nous allons. De la simple curiosité ou un contact suspicieux, nous ne saurons jamais. Mystère!

18:30

Au dîner: potée de lentilles, pommes de terres et carottes que vient agrémenter le boudin acheté auparavant par Yves. Tim nous initie au jeu du Président et nous passons un super moment tous ensemble autour des cartes avant de commencer notre veille.

19 novembre

08:00

Après quelques jours de pause, je relance une nouvelle fournée de pain. Ça me rend un peu triste quand je vois les yeux pétillants de Françoise qui adore le pain mais ne peut plus en manger à cause du gluten. Le petit-déjeuner sera tout de même aux céréales et cracottes car les pains doivent refroidir avant d’être dégustés.

12:30

Comme plus ou moins avant chaque repas, quelqu’un lance une idée de repas, propose aux autres et commence à cuisiner. On favorise toujours les produits frais avant qu’ils ne pourrissent. Rosette qui a fait cuire des haricots verts un peu plus tôt se lance dans une belle salade niçoise dont on profitera avec ce fameux pain qui plaît.

14:30

Richard nous annonce qu’il ne le lui reste que 3 cigarettes! Il a décidé d’arrêter de fumer, une promesse faite à sa fille qui a eu un petit bébé récemment. Il a donc choisi la manière la plus brutale d’en finir avec la cigarette, au milieu de l’Atlantique. « Ben oui » comment dirait-il, « il n’y a pas de bureau de tabac ici! ». Pour l’aider dans cette démarche, je lui ai trouvé un gros paquet de 50 mini chupa-chups, sucettes de son enfance qui l’aidera sûrement quand l’envie d’en fumer une sera trop dure. 

16:00

Le club de lecture Kindle se réunit sous le fly. Entre livre historique sur la Turquie, thriller sur un corps retrouvé dans un village de pêcheurs et Seul au monde qui relate l’épopée de Joshua Solcum sur son voilier, on n’a pas de quoi s’ennuyer! Un peu plus tard, une envie de bouger nous prend et nous voilà partis pour une séance de sport sous le fly et avec la musique à fond. Pompes, abdos, élastiques, postures de yoga, pas évident de trouver des idées mais on fait comme on peut en s’extasiant d’avoir la plus belle salle de gym au monde!

18:30

Ce soir, c’est apéro dînatoire! Tout le monde met la main à la pâte pour aider à préparer homous, tzatziki, bruschettas, guacamole, tortillas et mojo. On accueille ce moment par quelques déhanchés histoire de mettre l’ambiance dans le cockpit! 

20 novembre

00:00

Début de mon quart; j’ai fait une sieste et me sens en pleine forme! Je me fais un café que je sirote sous le fly avec ma liseuse. La nuit est calme et j’en profite pour continuer à lire mon livre sur l’ikigai et réfléchir à ce qui a du sens pour moi et ce qui me fait vibrer. Pas évident comme exercice! L’ikigai, c’est un concept japonais pour exprimer la raison d’être, ce qui nous pousse à nous lever chaque jour, en harmonie avec notre personnalité, nos envies, nos talents, nos forces et la valeur que nous pouvons apporter au monde qui nous entoure. Une réflexion que j’ai entamée il y a déjà plusieurs mois et que je continue à creuser. Il semblerait qu’il faille parfois toute une vie pour trouver son ikigai, si tant est qu’on y arrive. Mais ça reste malgré tout un chemin très intéressant à fouler pour apprendre à se découvrir et à se connaître dans ses moindres recoins.

11:00

Aujourd’hui, c’est brunch du lundi! Pierrick nous prépare ses magnifiques croissants dont il a le secret et qui diffusent une odeur des plus alléchantes dans le bateau. On les accompagnera de beurre salé parce qu’on ne dit jamais non à plus de beurre, de nutella et de confiture. Miam!!  

15:00

Je suis complètement surprise de voir un tout petit moineau se poser… dans mes mains sur ma liseuse!!! Ça me fait un effet incroyable! Il sautille ensuite ci et là sur le bateau et entre dans le carré où il trouve refuge sur l’épaule de Françoise. On lui met de l’eau et un bout de gâteau sur le pont, en espérant qu’il y trempera le bec. Il a sûrement dû se faire emporter par les vents pour se retrouver si loin de la côte. On s’inquiète pour lui parce que la survie sera difficile dans cet environnement marin et on espère qu’il restera à bord du bateau. Mais ce fût de courte durée, quelques minutes plus tard il était déjà loin, nous laissant avec le goût amer de le savoir en danger…

17:00

Cela fait environ 4 jours que nous sommes partis de Tenerife avec les cargaisons pleines. Cependant, la route est encore longue et en plus du vent qui souffle nous avons besoin de carburant en suffisance pour faire de l’électricité afin de garder les batteries pleines pour la vie à bord (frigos, lumières, etc.), les instruments de navigation, faire tourner l’auto-pilote et faire tourner le dessalinisateur. Ce dernier est très gourmand en énergie et tire pas loin de 35 ampères heure.

Voulant garder le plus possible de carburant pour parer à tout problème mais aussi par souci environnemental et économique, on essaie de réduire au maximum notre consommation d’eau et d’électricité. Voici que commence la chasse aux ampères pour que les batteries ne descendent pas trop vite. Quand on barre, on réduit de quelques ampères par exemple.

18:00

Nous entrons doucement dans une « molle » qu’on voyait venir sur nos outils de météo et on se prépare à faire route au moteur pour nous rapprocher des alizés qui soufflent plus au sud. On alterne les moteurs bâbord et tribord chaque heure, tournant à leur minimum de consommation mais nous donnant une petite erre tout de même. On profite également de ces moments pour faire tourner le dessalinisateur.

19:32

Comme il nous reste toujours les 150min du forfait iridium, j’en profite pour appeler Norbert 59s histoire de voir si ça fonctionne et pour donner des nouvelles à notre cher papa qui nous suit chaque jour sur PredictWind. Il n’en croit pas ses oreilles quand il entend ma voix! On échange quelques mots rapidement, il y a plein d’émotion dans ce court appel haché de quelques coupures satellitaires. 

21 novembre

00:00

Je commence mon quart bien fatiguée et me dit que ça finira par passer. Malgré tout, rien n’y fait et je lutte pour rester réveillée et empêcher le sommeil de m’engloutir. Je laisse tomber la veste de quart pour la toute première fois depuis qu’on navigue, ma jaquette en mérinos étant suffisante. Le vent est pourtant bien là mais il est bien réchauffé par la température ambiante. Je suis soulagée de voir arriver Alain pour me relayer à 2h00 et file me coucher.

08:00

Le réveil nous laisse dans une mer d’huile où l’on avance à quelques noeuds au moteur. Le vent est tombé complètement. Quelques bourrasques nous permettent de faire quelques dizaines de minutes à la voile de temps en temps.

10:30

Bien que le ciel est couvert, c’est le moment rêvé pour un petit plongeon, enfin un petit bain attaché à l’échelle et tiré par le bateau à 2 noeuds. On a jeté un bout avec 3 noeuds où l’on peut se tenir en sécurité. Avec Timothée, on a mis nos lunettes de natation pour regarder le bleu profond des 3000 m de fond. C’est flippant et on remonte vite sur le pont!

13:15

Pour midi, Timothée nous gâte d’une belle salade fraîche d’avocat, pois-chiches et autres crudités avant la fameuse mousse au chocolat de Françoise en dessert. Miam!

15:00

Dans cette grisaille et ce crachin qui nous rappellent l’automne de notre Europe lointaine, on se réfugie autour de notre table dans le carré en mode cocooning, s’imaginant devant une série Netflix au coin d’un feu de cheminée. On en profite pour jouer à quelques jeux de société. C’est assez étonnant cette sensation; seuls au milieu de l’océan dans cette petit embarcation filant doucement dans une mer calme qu’on oublie complètement. On se croirait dans un vaisseau spatial en plein film de science fiction où l’équipage s’occupe des activités de la vie quotidienne bien loin de leur habitat naturel.

19:00

Il nous restait une saucisse de boudin qu’Alain nous a proposé de préparer à sa façon: il la découpe en rondelles et la fait revenir avec des lardons et une pomme coupée en petites tranches. Je retiens sa recette! On a accompagné le tout d’une purée mousseline. Comme souvent depuis qu’on a quitté Tenerife, on mange à notre table extérieure, le temps devenant de plus en plus chaud et humide. On sent bien qu’on est maintenant sous le tropic du Cancer. On a aussi décidé de manger plus tôt pour profiter du coucher de soleil et des dernières lueurs du jour, au grand désespoir de Richard qui nous taxe de suisses, de belges et de vieux ^^ En plus de manger trop de graines pour lui! On a réussi à en faire un adepte du Roïbos et on ne perd pas espoir d’arriver peut-être à lui faire apprécier les graines d’ici la fin de la traversée!

22:00

Début de mon quart de nuit. Je suis contente de retrouver ce créneau horaire que j’avais laissé à Pierrick ces dernières nuits pour qu’il puisse se reposer et faire des nuits moins hachées. Il me relaiera à minuit. Après avoir fait tourner les moteurs pour recharger les batteries, je les coupe en espérant que le vent finira par se lever. Mes souhaits ont été entendus et j’arrive à naviguer au suivi de vent une bonne heure et demi. Ce n’était pas gagné compte tenu de la pétole dans laquelle nous avancions depuis ce matin! Vers 23h40, il retombe lamentablement, à tel point que j’ai même une alerte de l’AIS m’indiquant que le vent est beaucoup trop faible pour le suivi de vent du pilote automatique! Je remets le moteur tribord à 1100 tours minute et attend l’arrivée de Pierrick pour envisager la suite. Sauf qu’à minuit, il n’est toujours par là. Le connaissant, je sais tout de suite que c’est louche et vais le voir dans notre cabine. En effet, notre boulanger dormait encore à poings fermés… Je n’ai pas le choix que de le réveiller et de voir sa petite mine déconfite de faire tirer du lit. Je le laisserai reprendre des esprits devant l’AIS et file retrouver Morphée.

22 novembre

10:00

Ce matin le soleil est de retour et ça fait beaucoup de bien! Après le petit-déjeuner, Pierrick et moi profitons de l’inventaire qu’il a fait la veille pour refaire le point sur les repas des prochains jours. À 5 jours de traversée, on estime avoir consommé environ un tiers de nos fruits et légumes. On prend bien soin de les inspecter un à un tous les jours pour identifier ceux qu’il faut consommer et adapter nos menus en conséquence. Étonnamment, ce sont les citrons qui montrent le plus rapidement des signes de fatigue, malgré le fait qu’on les a mis dans un filet à l’extérieur. Certainement la chaleur.  Il reste aussi des pommes, bananes, kiwis, oranges, salades, concombres, tomates, courgettes, poivrons, pommes de terre, oignons, une pastèque, une papaye et … une courge butternut pour les jours les plus durs !

10:00

Je profite du soleil pour faire la tournée de l’équipage à la recherche… de T-shirts à laver! Après en avoir récupéré quelques-uns, je les lave à la main en essayant d’utiliser le minimum d’eau. Notre consommation en eau est plus que correcte et nous en sommes très fiers! Nous avons décidé il y a quelques jours de ne plus faire la vaisselle qu’à l’eau de mer et de même sauter le rinçage final à l’eau douce auquel nous avions l’habitude jusqu’ici. Comme pour les graines, ça n’enchante pas beaucoup notre capitaine qui trouve que ça rend la vaisselle « poissec » mais jusqu’ici ce n’est pas si mal comme pari et ça nous économise beaucoup d’eau et donc de carburant. Les gauges des réservoirs affichent toujours 100%. On les avait bien rempli ras le bord aussi.

13:00

On a de la salade verte qui fatigue et on se lance dans une salade improvisée agrémentée de quinoa, melon, feta, olives, tomates séchées. Pierrick nous fait sa sauce tahin et le résultat est un régal! 

15:10

Dans l’après midi on arrive à un endroit où tout se passe. Je décide de me tremper à l’eau tandis que Richard monte sous le fly car quelque chose est en vue. Il allume les moteurs et on se dirige vers une masse noire dérivant à plus de 170MN des côtes du Cap Vert où nous sommes. On se demande ce que c’est, un bateau retourné ? Un tronc d’arbre ? Un animal mort ? Mystère…

Quand on arrive à quelques mètres de l’objet on reconnaît la forme d’un zodiac noir. Un de ses boudins arrières est un peu dégonflé, un moteur de 25CH et personne à bord… On fait le tour sans trouver d’immatriculation mais on remarque que les sièges de fortune sont de vulgaires pneus usagés attachés avec un bout. À quoi servait cette embarcation ? On ne le saura jamais, pêcheurs, migrants ou bateau pour touristes ? On l’annonce tout de même au garde côtes à la VHF. Quelques minutes plus tard un banc de gros dauphins ou de petites baleines fonce sur nous mais nous contourne finalement… Quel endroit étonnant tout de même…

18:30

Après les graines et céréales qu’on donne à manger à Richard il est temps de changer de menu pour un de ses plats favoris: fajitas de poulet. C’est un classique qu’on aime cuisiner avec Rosette, c’est facile à faire, c’est bon, c’est joli et ça fait festif!

Françoise, attirée comme souvent par les odeurs de cuisine, se joint à moi pour m’aider. Tandis que les oignons cuisent, on coupe les deux poivrons qu’on fait suer dans la même casserole, puis on réserve le tout dans un bol. Le poulet étant encore un peu congelé, elle m’apprend qu’en les mettant dans un bain d’eau salée la décongélation est accélérée. Ça tombe bien, on est au milieu de l’Atlantique. En moins de 5 min, les filets sont tendres et je les découpe pour les faire revenir avec cumin, sel et poivre.

Comme Françoise ne mange pas de viande ni de gluten, je lui prépare des protéines de soja en remplacement du poulet et lui confectionne une galette avec de la farine de maïs. C’est pas idéal mais elle est contente de cette attention. Rosette, qui nous a rejoint, prépare avec délicatesse la crème fraîche qu’elle rend acidulée avec un jet de citron et du yaourt grec, rectifie un peu l’assaisonnement et on passe à table pour une soirée fajitas au guacamole préparé un peu plus tôt! Richard est heureux et Françoise très contente de son option végétarienne sans gluten. L’ambiance est sur sympa et on passe une belle soirée de discussion de voyages avec Tim qui nous raconte son récent périple en train et en stop depuis Amsterdam jusqu’en Azerbaïdjan.

22:10

Apres une fin de soirée à discuter du futur de notre aventure et imaginer quelle serait notre vie après cette année sabbatique, Rosette s’est endormie et j’en ai profité pour avancer un peu plus dans le récit de voyage de Slocum « Seul autour du monde ».

Je me suis levé quelques minutes plus tôt pour commencer mon quart. Même si le ciel n’est pas très étoilé, la lune éclaire la mer et l’on voit bien l’horizon dans la nuit. Le vent s’engouffre sous le fly où je me trouve et je vois que nous filons à un bon 7 noeuds à 162 degré du vent tribord amure. On suit un cap approximatif de 257 qui nous amènerait presque jusqu’en Martinique. Il nous reste plus de 2000 miles à parcourir à pour attendre notre destination.

22:40

Navigant sur un océan, « qu’est ce qui différencie le jour de la nuit ? ». Si on ouvre les yeux, alors tout change, la lune, les étoiles, l’obscurité. De nuit, comme sur la terre, on voit moins bien les couleurs et tout est tons de gris. Si on ferme les yeux, couché sous le fly, on pourrait être de jour comme de nuit, tous les autres sens autres que la vue partageant les mêmes sensations, le vent, le bruit, le roulis. Le bateau, lui, avance de jour comme de nuit sans que rien ne change et pour nous c’est pareil …

23:00

La mort. On ne peut s’empêcher d’y penser dans cet univers qui, bien que très beau, n’en reste pas moins très hostile pour nous pauvres humains. Si l’on venait à tomber à l’eau, on ne pourrait pas survire très longtemps – et si loin de côtes. Alors on est là, dans notre bateau, notre maison et notre refuge, on avance avec lui, on ne le quitte pas et on l’apprécie car il nous protège. 14m de long pour 8m de large, il n’est pourtant pas grand chose face à la taille de l’océan que nous traversons mais il est tout pour nous et nous le traitons avec respect car en ce moment il est tout ce qui nous maintient en vie.

23 novembre

09:00

Nettoyage du bateau. Après un petit dej en compagnie de Richard, Timothée et Alain, je regarde autour de moi toutes ces miettes au sol, les cheveux un peu partout, ça en est assez. Je sors la balayette et c’est partir pour le sol du carré. Voyant ensuite le deck du pont, je ne peux m’empêcher de brancher le tuyau sur l’arrivée d’eau salée pour passer le jet. Et voilà que je jette un coup d’œil au fly, beurk, lui aussi à besoin d’un coup d’eau. C’est toujours comme ça, ça commence par un coup de balayette et ça fini avec le nettoyage de printemps à passer encore dans la cabine la petite brosse. Ça fait du bien, le bateau brille sous un beau soleil matinal!

11:00

Il fait un temps magnifique, un des plus beaux auquel on a eu droit jusqu’ici. Pas un nuage ne vient encombrer le bleu du ciel. On sort les maillots de bain pour faire le plein de vitamine D sous le fly.

13:00

Après la délicieuse salade de riz concoctée par Tim dont il restera une bonne portion, chacun vaque à ses occupations comme d’habitude: lecture, musique, sieste, bain de soleil, écriture. Avec Pierrick, on s’asperge avec le jet d’eau de mer pour se rafraîchir. On aurait bien fait trempette mais vu la vitesse du bateau ca s’apparenterait plus à une séance de grimpe à essayer de rester agrippé à l’échelle en contrant le courant qu’à une baignade tranquille! Je file m’allonger sur le trampoline à l’avant du bateau pour me sécher au soleil, quand d’un coup je sens quelque chose atterrir sur mon ventre. Le temps d’ouvrir les yeux, le suspect était parti en laissant toutefois quelques traces derrière lui: des écailles. C’était un poisson-volant qui avait décidé de me faire un petit bisou, avant de continuer sa lancée en direction de l’eau! 

19:00

Avant le dîner, une bonne partie de Poker Menteur s’impose! On se jette des œillades sceptiques en riant de bon cœur aux coups de bluff de chacun. Alain nous prépare des gnocchis sauce pesto qu’on complètera avec les restes de la salade de riz. « Bien salé ce pesto vous ne trouvez pas? Alain, tu as cuit les gnocchis uniquement à l’eau de mer? ». « Oh fti, je n’ai pas pensé couper avec de l’eau douce!! Mince… ». Eh oui, au delà d’un tiers d’eau salée pour la cuisson, on a l’impression de boire la tasse! 

20:00

Début des quarts de nuit. Le vent tribord amure nous porte plein ouest, au 270. Il faudra le surveiller pour éventuellement empanner d’ici quelques heures, surtout s’il commence à nous porter vers le nord ouest. 

22:00

J’’ai fait une petite sieste histoire de me reposer avant mon quart. C’était une bonne et une mauvaise idée. D’un côté c’est bien de gagner quelques heures de sommeil, mais de l’autre on se réveille souvent en plein milieu d’un cycle et on est assommé… Étant donné qu’il n’y a aucun bateau en vue sur un rayon de 25MN, je passe la majeure partie de mon quart dans le carré et monte faire une vérification tous les quarts d’heure. 

24 novembre

08:30

De ma cabine, j’observe, à travers le hublot plafonnier, le génois qui danse dans le vent, éclairé par le soleil qui se lève. Le ciel est bleu comme hier et à travers le carré de 60cm par 60cm je ne vois pas de nuage non plus. Mais je suis encore allongé à côté de Rosette qui dort aussi tandis que les autres font tinter leurs couverts de petit déjeuner. La nuit a été difficile, la bateau bougeait beaucoup dans une houle de travers. Durant mon quart, vers 1h30 du matin je suis allé chercher Richard pour m’aider à empanner et prendre un cap sud-ouest dans la veine des alizés. C’était le bon moment de changer de direction car nous approchions d’un bateau en route de collision.

12:30

La salade grecque, ça passe toujours magnifiquement bien en navigation! On s’en prépare une belle avec feta, tomate, concombre, oignon rouge, olive et laitue iceberg, à laquelle on ajoute une bonne poignée de pâtes. En dessert, le magnifique cake banane, chocolat et glaçage au citron de Pierrick, un des meilleurs desserts qu’on a mangé depuis le début de la Transat! Avec la farine sans gluten, tout le monde se régale sans discrétion! 

13:30

Après le repas, on se lance dans une partie d’un nouveau jeu: essayer de deviner à coup de questions ouvertes quel personnage nous a été attribué et qui nous est inscrit sur le front. Entre Sylvestre Stallone pour Alain, Harry Potter pour Tim, la fée clochette pour Françoise, Mahatma Ghandi pour Pierrick et la petite sirène pour moi, on a sillonné les époques et les continents avec quelques gros fous rires! 

15:00

Françoise et Richard sortent du carré en nous criant qu’il y a des dauphins à l’étrave. Ni d’une ni de deux, on se retrouve tous sur le trampoline à s’extasier devant ces magnifiques créatures qui nous donnent le sourire et nous font même rire avec leurs sauts. On dirait qu’ils veulent jouer avec nous et qu’ils sont vraiment heureux de nous voir. Ça fait des frissons de bonheur! Ils sont restés un long moment avec nous, à jouer avec le bateau et à voguer à nos côtés. Pierrick et Tim leurs faisaient des coucous avec la main, qu’on aurait dit qu’ils percevaient. Puis, comme à chaque fois, ils disparaissent d’un instant à l’autre, nous laissant là empreints de magie et les yeux qui brillent.

19:00

C’est l’heure de l’apéro! Et qui dit apéro, dit jeu de cartes qui va avec. Petite partie de poker menteur qui devient de plus en plus marrante à mesure que l’on commence à mieux se connaître! Tim n’a vraiment pas de chance aujourd’hui et collectionne les haricots qui nous servent au décompte. Pendant ce temps, la chakchouka mijotait tranquillement sur le feu: des dés de pomme de terre, oignons, poivrons et pois-chiches dans une sauce à la tomate, à laquelle viendront s’ajouter en toute dernière étape des œufs qui cuiront sur le dessus. Un bon plat bien comfy pour cette fin de journée, avant d’entamer les quarts.

25 novembre

08:00

L’odeur du pain chaud vient titiller mes narines alors que je suis toujours au lit. Mmmmm rien de mieux pour se réveiller avec le sourire! Je me prépare un petit thé matcha avec le matcha de Françoise, et file rejoindre les autres sur le pont. Tartines beurre miel, pommes, beurre de cacahuètes. Françoise arrive un peu plus tard avec son « gloubi boulga » de graines de chia et lait d’amande, avant que je ne lui prépare un autre thé matcha qui la ravit. 

09:00

Le soleil tapant donne envie de se lancer dans un ménage de printemps! Ou peut-être devrais-je dire d’automne vu qu’on est fin novembre. Difficile de réaliser qu’on est aussi avancé dans l’année quand on voit le climat tropical dans lequel vogue notre bateau. Un soleil radieux, pas un nuage dans le ciel, un vent très agréable. On fait même nos quarts de nuit sans pull et pieds nus, et on dort tous le hublot et la porte ouverte pour faire circuler l’air.

13:30

Je monte sous le fly avec ma liseuse et le ventre trop plein. La salade de Tim était délicieuse et j’ai exagéré. Je ne peux plus bouger alors je reste sur le dos et retourne dans les récits de Slocum voyageant autour du monde sur son petit bateau, son Spray!

14:45

Aujourd’hui, j’ai moins le moral. Après des heures de « Clang » que fait la bôme et qui résonnent sous le fly où je suis me tue. Ce bruit agaçant indique surtout que nous n’avons pas de vent et que la houle nous ballotte de gauche à droite. Capricieux ces alizés aujourd’hui.

16:00

Comme il fait beau, on sort le jet! Ça fait du bien de s’asperger à l’eau de mer puis de s’étendre au soleil tout poisseux de sel. J’ai découvert les joies d’être allongée sur le trampoline à l’avant du bateau. On se sent particulièrement au contact des éléments à cet endroit: le déchaînement et le fracas des vagues sur la coque, la douce brise marine qui prend parfois ses grands airs et se mue en vent qui décoiffe, le soleil qui fait miroiter la surface de l’eau d’une multitude de paillettes argentées et, de temps en temps, un poisson volant qui fait surface pour nous regarder en coin et examiner notre curieuse embarcation de plus près.

19:30

Après une chouette partie de poker menteur, on se retrouve tous à table pour partager un plat de spaghetti au pesto rouge, sauce préférée de Tim. Des goûts simples qui font du bien sous une pleine lune qui éclaire tout l’océan qu’on peut voir à l’horizon. 

26 novembre

00:10

Les réveils au milieu de la nuit sont vraiment difficiles, surtout quand ça faisait une heure que je dormais. Je m’habille dans la cabine en titubant non pas à cause de l’apéro sans alcool qui est une habitude sur ce bateau, mais à cause du bateau qui tangue alors que mes muscles ne sont pas encore réveillés. Je prends mon gilet accroché à la porte de la salle de bain et monte retrouver Rosette qui finit son quart. J’ai les yeux qui piquent. Comme à chaque fois je me demande comment je vais tenir 2h de quart au milieu de mon cycle de sommeil. Pour moi, le meilleur endroit c’est sous le fly avec le vent frais qui réveille. Cette fois, je prends un duvet pour me blottir sur les sièges du dernier étage. C’est sympa. Il fait moins froid mais l’air salin est humide et il est sûrement mieux de ranger le duvet dans le carré à la fin de mon quart pour ne pas l’abîmer.

01:25

Le vent s’est remis à souffler et on rattrapera peut-être un peu le retard de la journée. Cependant, il nous pousse au 280 ce qui est un peu trop vers le nord selon la route que nous devons faire. Pas facile d’orienter le bateau dans ces alizés. On est obligé de tirer des bords plus ou moins longs pour suivre notre route.

09:00

Le ciel est légèrement couvert ce matin et tout le monde semble en moins bonne forme aujourd’hui. On n’arrive pas à dire pourquoi, peut-être est-ce dû au fait que les alizés sont tombés et qu’on avance à peine? Pierrick se demande s’il n’a pas une petite insolation. Tout le monde se repose et s’occupe de son côté en cette matinée jusqu’à l’heure du repas qui redonne un coup de peps à l’équipe! Aujourd’hui c’est salade niçoise préparée par Pierrick et Alain.

09:47

Je suis sous le fly mon kindle en main. Je suis toujours dans le livre de l’incroyable histoire de Slocum. Timothée est également couché dans le sofa avec son kindle. Plongés dans nos lectures, on lève la tête pour apercevoir un oiseau approcher et se poser près de nous. Il a l’air un peu fatigué, le pauvre est tout mince. On ne connaît pas la race de cet oiseau mais il ressemble un peu à une cigogne en plus petit. De grandes pattes acérées, un long bec et un plumage blanc. Il n’a pas l’air d’être du coin avec ses pattes plutôt faites pour patauger dans un marais, et son long bec à attraper des vers de terre. Mais voilà, il est là et le bateau est un peu son dernier espoir. Il élit domicile sur le pont, au bout de l’étrave côté tribord.

11:20

Je commence à me sentir pas très bien. Un peu nauséeux sans pour autant que ce soit dû à la houle. Je n’ai qu’une envie, c’est de dormir mais je me motive à préparer une salade aux lentilles façon niçoise, sauce ail citron huile d’olive, un classique.

13:30

Je ne me sens toujours pas mieux, je ne comprends pas trop ce que j’ai. Je me sens faible et apathique alors je m’endors sur un canapé de l’extérieur. Après une heure de sommeil, je vais dans la chambre un moment encore. Entretemps, l’oiseau blanc auquel on a essayé de donner de l’eau, du pain, des graines de courge, etc. ne semble intéressé que par les petits crustacés de Françoise (des berberechos) – qui montre une certaine affection pour le volatile qui commence à s’aventurer toujours un peu plus loin sur le bateau.

15:00

Le vent ne souffle toujours pas ce qui a tendance à agacer un peu l’équipage. On profitera des magnifiques brownies sans gluten de Rosette en collation de l’après midi. En revenant dans le carré, on découvre un autre oiseau. Plus grand que le premier cette fois-ci. Il à le même genre de tête avec un long bec mais arbore des pattes palmées et semble plus à son aise dans cet univers marin. Parfois il s’envole pour aller plonger dans la mer et ressortir avec un poisson, mais revient chaque fois se poser sur la balustrade de l’étrave bâbord. Nos deux passagers clandestins semblent se respecter mais sans plus.

15:30

Petite partie de Pictionary pour changer: chaque personne écrit une phrase que son voisin doit dessiner avant de passer le dessin plus loin. Richard ne joue pas avec nous mais se retrouve dans toutes les phrases à deviner: Richard qui mange des graines, cultive son potager de lentilles de retour chez lui ou danse la Carmagnole devant un plat de lentilles germées! Tim qui pêche, Rosette qui se réjouit d’arriver en Martinique et l’équipage qui a peur d’être à court de provisions sont aussi de circonstance. C’est simple, notre imagination est réduite à la taille de notre univers flottant actuel. Le dessin d’Alain avec sa chevelure caractéristique et ses lunettes rondes, qui nous invoque de naviguer plus au Sud pour attraper les alizés, est aussi bien réussi!

16:35

Comme chaque fin d’après-midi, c’est le moment de sport sous le fly pour le cours de fitness! Abdos et pompes s’enchaînent pour une trentaine de minute, au son de musiques entraînantes. Les exercices m’ont fait du bien et je me sens un peu mieux. J’ai aussi beaucoup bu dans l’après-midi et me demande si je n’ai pas eu une mini insolation.

17:00

Je me lance dans la préparation d’un plat que j’adore: les galettes bretonnes au sarrasin. Je pars pour 45min à faire fondre du beurre dans une poêle pour préparer en avance 12 galettes bien dorées.

Pendant ce temps nos nouveaux compagnons sont toujours présents et notre petit oiseau blanc commence à prendre ses aises et visite le bateau, l’annexe, le cockpit. Sûrement à la recherche de nourriture. Il s’approche bien de nous en gonflant son plumage pour nous impressionner, en nous regardant avec ses yeux ronds.

17:30

Pendant que Pierrick prépare les galettes, on rigole du nom qu’on donnera à notre nouveau compagnon. On se met vite d’accord sur Steve le petit Patapon! Il se balade partout, est curieux de tout, et connaîtra bientôt mieux le bateau que nous. Il a tout de même ses endroits de predilection: sur le côté tribord du bateau derrière le grand hublot du carré, et à l’arrière du bateau sur les frigos desquels il peut bien nous observer à travers la vitre. On s’attache à ce petit bonhomme plumé qu’on espère avoir sauvé de l’épuisement. Il ne mange par contre rien de tout ce qu’on lui met à disposition, et pourtant on aura tout testé: graines, biscuits secs effrités, lentilles, fruits, biscottes, beurre, rien n’y fait. Il ne trempe pas souvent non plus le bec dans le bol d’eau douce qui lui est réservé. Pendant ce temps, l’autre équipier clandestin fait de beaux vols planés qui finissent dans l’océan pour attraper des poissons. On remarque d’ailleurs un bal aquatique qui se joue devant nous: de beaux poissons de taille sautent hors de l’eau tout autour du bateau, soulevant des exclamations de la part de l’équipage émerveillé!

19:00

Les galettes de Pierrick ont un succès fou! On a droit à deux chacun: jambon emmental et œuf pour la première, puis champignons à la crème et à l’ail pour la deuxième. On s’en relèverait la nuit! Pas de jeux ou de discussions tardives aujourd’hui, on ne tarde pas à aller se coucher après le repas, épuisés de notre journée. 

23:50

Le réveil sonne mais pas de ceux qui vous poussent à l’école ou au travail. Ici, les réveils sonnent à des heures improbables et annoncent évidemment les quarts de nuit. Je retrouve Pierrick dans le carré pour le débriefing de passation: un voilier nous suit à 2.5MN mais navigue à la même vitesse; il ne devrait donc pas nous déranger. Pas d’autres bateaux à l’horizon sur de très longues distances, on sent bien qu’on est bientôt au milieu de nul part. Sinon, nos deux congénères à plumes sont toujours là et dorment à leur emplacement favori: à la proue bâbord pour l’oiseau marin et sur le côté tribord derrière le hublot pour Steve le petit patapon, qui lève la tête de temps à autre pour suivre nos va-et-vient dans le carré au rythme de nos changements de quarts. 

27 novembre

09:00

Ce matin, c’est le lundi des croissants! Tim a décidé de se lancer dans un atelier croissants démarré la veille sous l’œil connaisseur de Pierrick. C’est un sacré travail qui en vaut toutefois bien la peine surtout dans un endroit aussi improbable que le milieu de l’océan! On se régale tout en regardant Steve faire le tour du propriétaire. On verra bien combien de temps il survivra avec nous et si on l’emmènera jusqu’en Martinique, en se promettant que celui qui le trouverait mort un matin sur le pont le mette à l’eau en disant aux autres qu’il l’a vu s’envoler bien loin…

10:00

Après le brunch du lundi, je commence un nouveau livre, un roman cette fois: « le Chant du Silence ». En effet, hier soir, tard dans la nuit après mon quart je finissais « Seul autour du monde » le récit du voyage complètement fou de Joshua Slocum qui fait le tour du monde en solitaire en voilier en 1895. Ce voyage lui aura pris plus de 3 ans mais les aventures qu’il raconte sont invraisemblables et cela tient peut-être du miracle qu’il arrive vivant quand on compte le nombre de galères qu’il a vécues. Je recommande tout comme on me l’a recommandé. Donc voilà, pour changer de style, je commence aujourd’hui une fiction dans laquelle je rentre très vite et j’ai bien hâte de trouver du temps pour le lire!

12:30

On s’amuse à regarder Steve Patapon qui s’aventure toujours plus loin dans le bateau, il ne se gêne plus trop pour passer entre nos jambes pour entrer dans le carré. Il est quand même aux aguets tout le temps. On pense qu’il aimerait bien manger quelque chose, mais quoi ? Car malgré toute nos tentatives, il ne mange rien de ce qu’on lui donne, et ne boit pas d’eau non plus… Espérons qu’il va survivre. 

14:15

Cette journée de lundi a un petit air de dimanche. On passe pas mal de temps à discuter de plein de choses, comment fonctionne l’immobilier entre nos différents pays, quel genre de maison chacun aimerait acheter un jour, dans quel pays, pour quelle vie ? C’est toujours très intéressant d’en apprendre sur chacun, d’autant plus qu’on vient tous d’horizons différents. 

La journée va bon train sous un joli ciel ensoleillé où le temps passe de plus en plus vite… Comme dirait Alain « C’est comme dans la vraie vie, la deuxième partie passe beaucoup plus vite que la première! ». Ce qui nous met tous de bonne humeur, c’est tout de même le bruit du vent qui souffle bien et le fait de sentir qu’on avance à bonne allure.

17:00

Je me lance dans la préparation d’un chili sin carne et de riz basmati pour le repas de ce soir. Les odeurs d’oignons et d’épices enchantent l’équipage qui se réjouit de manger! Comme on n’a pas beaucoup de viande et qu’une partie de l’équipe préfère manger végétarien, je remplace la viande par des protéines de soja texturées. Pierrick et moi avons découvert ces protéines sèches qui remplacent bien la viande lors de notre année vegan. C’est super pratique, ça se conserve très longtemps, ça nourrit et ça n’a pas de goût prononcé. Du coup on était content d’en trouver lors de nos courses d’avitaillement. Avant que le repas ne soit servit, on se fait une partie de Président et une autre de Poker Menteur, avant de manger à la table extérieure en regardant le coucher de soleil. Il fait plus frais et on a presque envie de prendre un pull, ce qui fait du bien après la chaleur de ces derniers jours!

23:30

Je me fais réveiller par Pierrick alors que je m’étais endormie dans le carré pendant mon quart. J’avais mis un réveil tous les quarts d’heure pour faire des micro-siestes entre deux montées à l’AIS pour vérifier que rien ne viendrait perturber notre route. Voyant que j’étais épuisée, il m’intime d’aller au lit et prend la relève plus tôt que prévu. Merci mon amour, j’en avais vraiment besoin! 

28 novembre

07:30

Ce matin, je me réveille plus tôt que d’habitude. Il fait encore noir mais je décide de sortir de ma tanière pour aller sous le fly. Je retrouve Tim qui finissait gentiment son quart. On se fait un café qu’on sirote en silence en regardant le lever de soleil. Le ciel est moucheté de nuages. Comme disait Teta (grand-maman en libanais), Dieu a étendu son linge à sécher. Le simple fait d’évoquer ma grand-maman me pique les yeux, comme à chaque fois. Les êtres chers nous manquent toujours autant, même des années après leur départ. Le temps adoucit notre peine mais le vide qu’ils laissent n’est jamais réellement comblé. On s’en acclimate et on apprend à vivre avec, mais il est toujours indéniablement présent, comme une brûlure de regret de ne pas avoir eu plus de temps ensemble. Ces moments matinaux loin de tout et au milieu de l’immensité bleue invitent à la contemplation et font du bien. 

08:15

Richard pointe la tête et nous fait son grand sourire de grand gamin qui se réjouit de son petit-dej! Comme il dit souvent, le plaisir que lui procurent ses tartines beurre confiture trempées dans le café ne faiblit pas avec les années! On se retrouve donc tous les 3 autour du petit-déjeuner, le temps qu’Alain vienne nous rejoindre. Pierrick et Françoise dormiront un peu plus longtemps.

14:30

Je descends dans notre cabine et ai le plaisir de découvrir… quelques traces de caca d’oiseau sur notre housse de couette! Il faut dire que je m’y attendais un peu; Steve aimait particulièrement se poser sur la moustiquaire du hublot qui surplombe notre lit et je n’avais pas le cœur à le déloger de sa place favorite. Richard n’avait pourtant pas manqué de nous prévenir! Pas grave, il n’y en avait pas beaucoup et on a vite fait d’enlever la housse de couette et de la laver à la main. On la ensuite étendue à l’extérieur, dans le cockpit. C’est en regardant l’oiseau se mettre en dessous des gouttes d’eau qui tombaient du drap qui séchait que Richard a compris qu’il cherchait à boire! Il a proposé d’utiliser un verre plus profond que les gamelles d’eau qu’on a mises jusqu’à présent, pensant que ce sera sûrement plus confortable pour notre compagnon au long bec. On l’a mis sous le drap, à côté de notre petite mascotte, et… il a enfin commencé à boire!!! On est super content parce qu’on se demandait combien de jours il allait pouvoir tenir sans s’abreuver. On a ensuite fait une nouvelle tentative de nourriture avec des miettes de pain, beurre et graines de courge. On verra bien si ça fonctionnera cette fois-ci.

20:00

Pour élargir notre panel de jeux, Alain nous explique les règles de la belote. Pas facile de retenir toutes les subtilités d’un coup! On fait quelques parties à blanc pour se mettre dedans, on commencera à jouer sérieusement demain.

22:20

Je termine la journée par le quart de 22h. C’était une belle journée, de lecture surtout pour moi mais pas que. Bien que Steve ne mange pas, il commence à prendre plus de place sur ce bateau, en tout cas dans nos cœurs. Il est dans presque toutes nos discussions, dès qu’on ne le voit plus sur le bateau on le cherche partout pour s’assurer qu’il est bien là. On a tous peur de le voir partir alors on fait tout pour qu’il se sente bien.

Aujourd’hui, nous nous sommes fait rattraper pas un joli voilier qui voguait au spi, un beau spi bleu. On a pu faire signe à l’équipage qui est passé à 200-300m de nous. Ça faisait longtemps que nous n’avions pas vu d’autres personnes. Pour terminer cette journée en beauté, Rosette nous a fait des spaghettis bolognaises à la libanaise (avec de la cannelle). Richard était très content de manger autre chose que des graines et s’est même resservi, ce qui est rare car il a plutôt un petit appétit.

23:45

« Suis-je dans un rêve ? » emmitouflé dans un duvet sous le fly en train de finir mon quart, je regarde cette étendue d’eau éclairée par la lune qui commence à décroître. Le fait que les jours se succèdent et se ressemblent un peu me fait penser à un rêve qui se répète dans fin. La seule réalité est de voir avancer notre point sur une carte nous indiquant clairement que le bateau est effectivement en train de filer en direction des Antilles. C’est tout de même une sensation assez étrange que de vivre cette traversée. C’est à la fois une totale liberté d’être là et tout l’inverse aussi.

23:50

Je me réveille pour mon quart de minuit. Ma petite sieste m’a fait du bien et je me fais un thé pour démarrer cette veille. Le bateau avance bien avec les alizés et le temps est de plus en plus chaud. Toujours pas de bateaux en vue et je peux me replonger tranquillement dans ma lecture du moment, « Tirer un trail sur le passé», l’histoire de Michael qui part pour une randonnée de 4’260 km sur le Pacific Crest Trail pour relier la frontière du Mexique à celle du Canada à pied. Il prend un congé sabbatique pour se lancer sur ce défi après une rupture amoureuse avec celle qui partageait sa vie depuis 16 ans. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec notre expérience du voyage en lisant ses mots. Le bonheur de se retrouver dans la simplicité du quotidien, de s’émerveiller des petits riens qui font la réalité du voyage, de se sentir vivant au contact des éléments, d’apprécier ce confort du quotidien qu’on a tendance à prendre pour acquis. Mais aussi, le fait de prendre du recul par rapport à sa vie d’avant, d’ouvrir encore plus les yeux sur la triste réalité de notre société de consommation et de se demander si on sera en mesure de réintégrer ce monde absurde qu’on regarde maintenant à travers le filtre de notre expérience et d’y retrouver un équilibre et du plaisir. Sinon, quelles alternatives s’offrent à nous? Pour ma part, c’est certainement la question qui me taraude le plus et j’espère que ce voyage incroyable que nous vivons m’apportera les réponses que je cherche.

29 novembre

07:00

Quel bonheur de voir notre ami Steve toujours là. Il dort sur le pont, « plumes au vent ». Il dort debout. Il est remarquable de voir que ce petit oiseau de terre arrive à dormir debout sur un bateau qui bouge. La tête dans les ailes, il tangue avec le bateau ramenant son centre de gravité à l’équilibre. Cela fait maintenant trois jours qu’il est parmi nous; ce petit malin passager s’offre une demi transat gratos, nourri logé blanchi!

De mon côté, tandis que la nuit est encore là car nous tardons à changer d’heure, je me lance dans la confection du pain. La pâte a triplé de volume durant la nuit. La technique du pain sans pétrissage prend tout son sens sur un bateau. Le soir d’avant, je mélange farine eau et levure que je laisse monter jusqu’au matin. J’interviens ensuite pour la sortir sur un plan fleuré de farine où je découpe le kilo de farine sur-gonflée en 3 parties égales. Je rassemble la pâte de bas en haut en 3-4 fois pour former un paquet que je retourne et dépose dans des moules à cake enfarinés. Quand le four est à bonne température , je glisse les 3 moules côte à côte et dépose la plaque à gâteau carré au dessus pour que l’humidité reste dans les pains. Après 30 min, j’enlève la plaque pour finir la cuisson une vingtaine de minutes. Les pains sont prêts à 8h pour le petit-1déjeuner, avec une belle croûte dorée et une mie bien moëlleuse! 

13:08

14°43.912’N 38°52.771’W
C’est officiel, nous sommes au milieu de l’Atlantique! À partir de ce moment-là, nous sommes au point de non-retour: la terre la plus proche se situe de l’autre côté de l’océan et un retour en arrière ne fait plus de sens. Ça fait quelque chose à l’équipage! Les alizés ont aussi exprimé leur émotion en nous offrant une vitesse de pointe à 11.8 noeuds.

16:00

Aujourd’hui, l’oiseau ne va pas bien. C’est indéniable, on sent que quelque chose est different d’hier. Il ne se balade pas du tout dans le bateau et reste toute la journée au même endroit, comme empreint d’une véritable lassitude de vivre ou d’une fatigue extrêmement pesante. Tout le monde s’inquiète pour lui, le regarde en silence en se demandant quoi faire pour l’aider. On se creuse les méninges à essayer de trouver des choses à lui donner à manger qui pourraient lui convenir et se rapprocher de ce qu’on le soupçonne de manger habituellement, des vers de terre et des larves, mais rien n’y fait.

Comme pour confirmer nos pensées, il ne se donne même pas la peine d’aller à son coin habituel pour dormir au côté tribord du bateau et préfère rester devant le carré à sa place habituelle de jour. Ce n’est pas très bon signe à en témoigner le regard de Richard. J’essaie de ne pas trop y prêter attention et refoule mes pensées négatives.

Entre temps, on se lance dans une vraie partie de belote qui s’avère plus sympa que ce que je pensais! Les équipes sont équilibrées et on prend tous du plaisir.

20:00

Le coucher de soleil dont nous gratifie l’Atlantique est, une nouvelle fois, magnifique. Les nuages qui encombrent le ciel le rendent encore plus dramatique. On ne s’en lasse pas et on essaie de profiter pleinement de ce moment tous les soirs, et d’être reconnaissant de pouvoir apprécier la beauté d’un tel paysage d’un point d’observation privilégié.

Qui dit coucher de soleil dit heure du dîner sur Pegasus! Nous avions en effet décidé de nous caler sur le soleil pour notre vie à bord, et de dîner à l’heure où la lumière est la plus belle. Ce soir j’ai proposé à l’équipe de faire une mjaddra: une purée de lentilles libanaise agrémentée de riz et d’oignons. Des ingrédients simples qui se marient délicieusement bien et qui ont beaucoup plu à tout le monde! Un homous, des olives, des pains grillés à l’ail, des chips tortillas et une tapenade viennent compléter notre apéritif dînatoire.

30 novembre

08:30

Ce matin l’équipage pleure la perte d’un de leur membre. Cette nuit, Steve notre petit héron est mort. On le voyait dépérir durant la journée, il ne bougeait plus beaucoup et dormait dans le creux de son aile comme il le faisait la nuit. Seules les quelques lampées d’eau prisent de temps à autre devaient le maintenir encore un peu en vie mais la nuit a eu raison de lui. Rosette l’a découvert sur le sol, inerte, à la fin de son quart de nuit. Ne pouvant se résoudre à le prendre, elle attendra Alain, qui, commençant son quart, prit l’oiseau dans ses mains, lui donnant un dernier adieu avant de le laisser à la mer. L’émotion serre l’estomac de l’équipage ce matin. Tim passe un gros coup de jet sur le bateau pour le nettoyer des dernières traces du séjour de notre oiseau. Bon vent à toi petit Steve.

10:00

Bien que nous sommes loin des Antilles, on commence à voir quelques sargasses sur notre route. C’est un phénomène étonnant car normalement elles se développent plus au nord et ne devraient pas se retrouver sur notre route à ce niveau. Ces algues flottantes de couleur jaune peuvent vite devenir cauchemardesques pour les navigateurs si d’aventure elles se prenaient dans les hélices du bateau. Rosette, qui n’en avait jamais vu avant, trouve qu’on dirait de l’or, comme si la mer était dorée à la feuille. 

11:30

Lorsqu’on était encore à terre et mue par l’envie de créer des choses avec mes mains, je me suis achetée du matériel de dessin pour la toute première fois de ma vie. Les ateliers dessin partagés avec Véro pendant nos retrouvailles avec elle et Norbert le papa de Pierrick en ont été l’inspiration. Un petit cahier de papier à dessin, un stylo noir pour dessiner, quelques crayons graphites et des feutres-pinceaux de couleurs vives. Quand le bateau est à la sieste, j’ai pris l’habitude de m’installer dans le cockpit, dos contre la banquette et genoux pliés contre ma poitrine, pour dessiner au gré de mon envie. J’aime surtout peindre des dessins graphiques et très colorés: des mandalas ou des motifs ethniques par exemple. J’adore ce moment qui m’appartient pleinement, où seul compte mon trait de crayon et ma créativité du moment. C’est assez particulier d’avoir tout le temps devant soi et aucune réelle obligation. Dans notre quotidien, on a cette tendance à vouloir toujours remplir son temps de choses utiles à faire. Sur le bateau, le temps nous appartient pleinement et on peut l’occuper comme bon nous semble, sans laisser la place aux remords de conscience.

12:30

Françoise s’attelle à la cuisine pour nous préparer sa salade de pommes de terre. Quand elle pelle les œufs qu’elle a cuit pour la salade, on remarque que certains ont un aspect un peu noir. On est alors un peu sceptique sur la qualité des œufs. Certains ne veulent pas en manger, d’autres s’en fichent car ils sont bien cuits, bref la confection de la salade s’avère un peu plus compliquée et c’est finalement 3 salades qui seront déposées sur la table: une avec les œufs « empoisonnés » comme disait Françoise sur le ton de la rigolade, une autre avec de nouveaux œufs cuits qui ont meilleure allure et une troisième préparée sans œufs pour qui n’avait plus envie de manger d’œufs. Pas si simple mais la recette est excellente et tout le monde se régale! 

15:00

Après le repas, c’est quartier libre. Tout le monde part de son côté pour lire, faire la sieste, écouter de la musique ou des podcasts, se prélasser au soleil, faire sa lessive ou barrer le bateau. Je retrouve Pierrick sous le fly où on aime bien passer du temps. Le départ de l’oiseau hier soir pendant mon quart m’a beaucoup remuée et me fait réfléchir depuis lors à la fragilité de la vie, au fait qu’elle est là mais peut disparaître d’une seconde à l’autre, souvent quand on s’y attend le moins. Je me souviens de ma maman qui citait souvent quand on était petit « Une seconde avant sa mort, il vivait encore ». Le pont entre la vie et la mort est quelque chose d’aussi bref et d’aussi éphémère qu’une unique seconde. Dans notre petit monde flottant, une vie prend toute son ampleur, à l’image d’astronautes qui prennent avec eux une plante pour emporter de la vie dans leur voyage cosmique. À un moment donné, nous étions 7 êtres vivants sur notre embarcation et ne sommes plus que 6. Réaliser que ce petit être avait décidé de rester sur la bateau parce qu’il se savait condamné me serre le cœur, et de repenser à sa manière de gérer son énergie restante et ses derniers jours de vie me fait de la peine. J’avais besoin d’extérioriser les émotions qui me tourmentaient et en ai parlé à Pierrick. Comme toujours, il trouve les bons mots, me dit que c’est normal de se sentir émotif et me parle de cette fois où il a dû laisser partir son chat très malade. Ce n’est jamais facile d’être confronté à la mort et ça nous rappelle notre condition mortelle. L’oiseau est sûrement mieux où il est et c’est une chance que son agonie n’ait pas duré longtemps. Ça me fait beaucoup de bien d’en parler avec lui et je me sens plus apaisée après cela. 

16:30

Le traditionnel « Qui partage un coca avec moi? » d’Alain est généralement annonciateur d’un moment où chacun sort sa boisson gazeuse préférée et où l’équipe se retrouve dans le cockpit au joyeux son caractéristique de l’ouverture des canettes. Un moment où on refait littéralement le monde. Tous les sujets possibles et imaginables y passent: des classiques (géopolitique, histoire et écologie), aux artistiques (cinema, littérature et musique en tout genre), aux nostalgiques (souvenirs d’enfance et publicités cultes), avant ma catégorie préférée des habitudes culturelles de chacun. Le fait qu’on vienne tous de coins différents (Bretagne, Pyrénées catalanes, Corse, Belgique, Suisse et Liban) couplé aux endroits encore plus improbables où l’on habite (Pays-Bas, Thaïlande, Polynésie française, Birmanie) amène une richesse inestimable à notre petit monde flottant.

18:30

Rien de mieux qu’une partie de poker menteur avant le dîner! On se prend des fous rires face aux bluffs de certains ou à la chance inouïe d’autres. Françoise nous jalouse un peu; elle n’aime pas les jeux mais relève à plusieurs reprise qu’on a l’air de s’amuser comme des enfants et que nos rires font plaisir à entendre! Tim nous a préparé de bonnes pâtes sauce tomate. Plein d’emmental et on est heureux comme des enfants. Le paquet de Haribos met la cerise sur le gâteau.

1er décembre

12:00

Et voilà, on vient de clore deux semaines de navigation continue depuis notre départ de Tenerife! Pour beaucoup d’entre nous, c’est plus de jours que ce que nous dicte notre impression ce qui est plutôt bon signe. Il faut dire qu’on a énormément de chance d’être l’équipage qu’on est. Le facteur humain faisant une grande partie de la transat, s’entendre ensemble comme notre équipage est vraiment clé pour avoir une expérience positive. À cela s’ajoute un bateau confortable et bien équipé, les bons outils de navigation et de sécurité, une quantité suffisante d’eau et de nourriture, et bien sûr… le meilleur skipper! 

13:00

À midi, on a l’habitude de faire des salades. C’est rafraîchissant, rapide et léger, parfait pour ce moment de la journée. On sait ce qu’il nous reste comme produits frais et on compose en fonction. Aujourd’hui, je prépare une salade grecque au quinoa avec notre dernière tomate, dernier concombre et de bonnes olives noires. Je coupe les légumes en petits cubes, ce qui a l’habitude de me projeter directement à plusieurs milliers de km d’ici, dans la douceur de la cuisine de mon enfance, quand on préparait le taboulé du dimanche en famille. J’ajoute une poignée de pignons de pins pour parfaire encore plus cette impression. Pour la touche sucrée d’après repas, c’est la fête: on entame le paquet de dattes Medjoul incroyablement fondantes et que j’apparente toujours plus à un dessert qu’à un fruit, avant que tout le monde ne retrouve ses occupations habituelles de l’après-midi au soleil.

19:30

Aujourd’hui, on a un milestone à fêter: on est passé sous la barre des 1000 M restants jusqu’à l’arrivée! Une bouteille de blanc bien fraîche est de mise pour l’occasion, et on trinque tous à cet événement! L’occasion de relater quelques anecdotes de notre voyage en riant de plus belle, avant de se retrouver autour du super bon poulet thaï d’Alain et du carpaccio d’oranges de Pierrick en dessert. Un régal! 

23:27

Alors que la nuit est très noire, que les étoiles sont bien visibles, une lueur rougeâtre apparaît à l’arrière du bateau. Je suis sous le fly dans ma dernière heure de quart en train de luter contre le sommeil qui m’envahit. Seuls les quelques bruits de la bôme me tirent de ma torpeur par moment car le vent est capricieux. En me retournant, je regarde cette lueur au loin et assiste à un magnifique levé de lune. Elle sort de l’horizon en un disque rouge qui commence sa douce transition vers le blanc. Elle passe derrière les nuages qui la masquent par moments. C’est toujours très impressionnant de voir à quelle vitesse elle décolle de la surface de l’eau.

Encore une nuage passe devant elle, la masquant presque entièrement mais voilà qu’elle réapparaît au dessus avec une couleur blanchâtre cette fois-ci. Comme nous sommes sous le tropique du Cancer, la forme de la lune, qui a commencé sa lente métamorphose en future croissant, est bien différente de celle que l’on voit en Suisse. Elle diminue en taille par le haut et non pas par le côté ce qui lui donne l’aspect d’une montgolfière qui s’élève au dessus de l’océan.

Je suis là, j’admire ce spectacle de jeu de lumière avant de partir rejoindre ma cabine pour une bonne nuit bien méritée…

2 décembre

17:00

On ne peut pas dire qu’on a très faim, mais l’heure avance et c’est le moment de préparer le souper. Je me lance pour faire une quiche courgettes lardons. Ça semble facile mais comme on a envie de profiter de chaque repas tous ensemble sans exclure Françoise, je me lance le challenge de faire en plus une quiche sans gluten et sans lardons. La solution c’est la farine de maïs. Je prépare les deux pâtes pendant que les courgettes cuisent dans la poêle. Je réserve et lance les lardons. On rigole bien avec Françoise qui ne manque jamais de venir guigner en cuisine et Richard qui vient mettre ses doigts dans la pâtes déjà aplatie. « Alors voilà, tiens, prend une fourchette pour piquer la pâte! ». À 1910, je sors la tarte sans gluten et enfourne la suivante pendant qu’on déguste la première tous ensemble. Ça a marché et on partage un joli moment. 30 minutes plus tard on mange la seconde, cette fois bien rassasiés!

20:30

Le traditionnel jeu après le souper ne manque pas, deux belles parties de poker menteur où fulls et carrés pleuvent à chaque tour, même Tim nous sort des petites et grandes suites presque sur commande! Une bonne heure de franche rigolade.

21:30

Cette fois c’est Alain qui fait le pain. Il veut apprendre une autre recette de celle qu’il a l’habitude de faire chez lui. C’est parti pour une pâte ultra hydratée ! Qu’est ce qu’on rit en voyant Alain les mains vraiment pleines de pâte collée partout entre ses doigts. Le sourire aux lèvres, il nous laisse pour retrouver sa cabine car il devra se lever tôt demain matin pour cuire tout ça, en plus de son quart qui commence à 0200!

22:15

Je suis content de prendre le premier quart à 22h. Le vent s’est clairement levé et on avance à plus de 7 noeuds mais dans une houle croisée et le bateau tangue vraiment beaucoup. J’espère que ça va se calmer dans un petit moment car comme on ne voit rien, difficile à dire si on va devoir empanner ou pas…

3 décembre

00:15

Le vent est plus stable et la houle moins forte. On avance à plus de 6 noeuds de moyenne en cap 270, c’est parfait ! Rosette n’est toujours pas là, dort-elle encore ? Je me dis que je peux la laisser dormir mais je vais quand même voir si elle va bien. Malheureusement, je la réveille en m’asseyant sur son pied car elle est étendue dans tout le lit. N’ayant pas vraiment sommeil, je l’attends sous le fly avec une petite couette pour passer ce quart ensemble à regarder les étoiles et écrire des messages à sa famille.

16:30

Après une journée de lecture, il est temps pour moi de bouger un peu et comme il est 1630, je me prépare en habit de sport (maillot de bain sans t-shirt) pour la séance quotidienne d’abdo, pompes, tractions et élastique. Tim est aussi là et on enchaîne les exercices en musique sous le fly!

18:30

Quelques dauphins apparaissent sur notre tribord. Ils sautent et se déplacent entre l’avant et l’arrière du bateau quelques minutes puis repartent au loin. À chaque fois c’est un moment magique que de les voir. On se rejoint tous dans le carré pour un mini verre de rhum « dosé homéopatiquement » pour l’ambiance. Depuis quelques heures, le vent augmente de plus en plus et on voit notre vitesse moyenne passer à 7.2 noeuds. On s’amuse tous à calculer quelle serait notre jour d’arrivée sinon gardait cette allure plein ouest avec ce vent. Le 7, le 8 décembre ? À voir …

18:45

J’ai prévu de faire un hachis parmentier végétarien ce soir et commence assez tôt à préparer le repas. Le soleil de l’après-midi réchauffe bien l’habitacle. Derrière les fourneaux, je rêve d’une douche que je file prendre dès que mon plat est prêt à être enfourné. J’entends alors, par le hublot supérieur de la douche, une excitation qui gagne tout l’équipage. En tendant l’oreille, je comprends qu’ils aperçoivent des dauphins et regrette de ne pas être sur le pont à cet instant. Une seconde plus tard, je les vois qui sautent tout près de mon hublot latéral, à hauteur de mes yeux! C’est incroyable l’intensité de ce qu’on ressent lorsqu’on voit ces êtres vivants, comme une décharge de bonheur que l’on peine à contenir et qui doit aussi s’évacuer oralement par des cris d’émerveillement.  Un moment incroyable!

21:50

Alors que nous sommes en pleine partie de belote et que le score est serré entre Rosette et moi contre Tim et Alain, je commence à me sentir inconfortable dans mon siège. Le bateau semble prendre de plus en plus de vitesse et bouge beaucoup sous la pression du vent en plus de la houle. Les alizés étaient annoncés plus fort mais pas avant le 4 décembre. Manifestement, le vent a déjà pris de la puissance. Ça avait commencé un peu plus tôt quand nous préparions le souper, mais depuis quelques minutes, notre Navionics indique des pointes de vitesse SOG à 12 noeuds. À ce moment, je perds la concentration du jeu faisant quelques erreurs qui étonnent Rosette mais mon esprit est ailleurs. Je sens un crainte en moi alors je me déplace sur le pont pour aller voir Richard qui est en train de jouer sur son téléphone l’air tranquille. Je vais vite contrôler la force du vent aux instruments et vois que nous sommes pas loin des 25 noeuds de vent. Ça fait beaucoup de bruit, c’est impressionnant. En redescendant je demande à Richard si on ne devrait pas prendre un ris. On convient que ça serait mieux de le faire maintenant plutôt que dans la nuit quand on est endormis. En revenant dans le carré, on arrête la partie de belote momentanément pour se préparer avec les gilets et monter à la barre, Richard, Tim et moi pour la manœuvre. Je vais à la barre et quand les autres sont prêts, je lofe au travers puis au près, relâchant la pression du vent dans la GV choquée à son maximum pour que Richard et Time puissent ariser la voile. C’est toujours un peu stressant de faire ce genre de manœuvre la nuit, gérant la barre aux instruments uniquement car la nuit est bien noire ce soir.

Une fois l’opération faite, on redescend dans le carré pour finir la partie. Le bateau a perdu un noeud de vitesse mais souffre maintenant moins sous la pression du vent et je suis moi aussi soulagé. Je ne tarde pas à rejoindre le lit pour dormir un peu tandis que Rosette commence le premier quart à 22h.

22:00

Je prends mon quart qui s’annonce différent de ceux des derniers jours: deux bateaux sont en vue ce qui n’était plus le cas depuis un bon moment. On sent qu’on se rapproche de la terre! Jusqu’ici, lorsqu’aucun bateau n’était visible à l’horizon ou sur l’AIS, j’ai pris l’habitude de rester dans le carré, à l’abri du bruit incessant des vagues et du vent, et de monter périodiquement faire des vérifications aux alentours. Cette fois-ci sera différente, je m’installe sous le fly avec une couette et suis très attentive aux deux bateaux en vue, pour m’assurer que nos routes respectives ne se croiseront pas. L’avantage d’être en haut, c’est qu’on peut difficilement s’assouplir avec le vent qui nous ramène à l’ordre constamment. Les deux heures s’écoulent vite et je sais que Pierrick arrivera d’une minute à l’autre.

4 décembre

00:05

Je rejoins Rosette qui termine son quart. Comme à chaque fois que je me lève au milieu de la nuit, je suis encore tout embué de sommeil et il me faut toujours plusieurs minutes pour comprendre un peu ce qui se passe. Je sens que le vent a encore forci et je suis content que nous ayons pris un ris quelques heures avant.

Rosette me fait le topo lors de la passation: Alain dort dehors, il y a deux bateaux dont un sur notre bâbord arrière visible de temps en temps sur l’AIS, et un autre sur notre avant tribord qui, lui, n’est pas sur l’AIS.

Après un petit bisou de bonne nuit, je monte sous le fly et commence à repérer ces deux bateau. Celui qui nous suit est bien visible mais reste assez loin. L’autre que Rosette m’avait dit être devant est invisible à l’œil nu. Peut-être est-il déjà hors de notre visuel. Rien de bien alarmant pour le moment, alors je me couche sur les canapés du fly pour continuer mon nouveau livre, un autre de Guillaume Musso: Sauve-moi.

07:30

Difficile de dormir plus longtemps ce matin. Malgré le quart finissant à 2h et le fait qu’il fasse à nouveau nuit au réveil, je me réveille souvent car le bateau bouge plus maintenant que nous sommes dans des vents plus forts. Je me sens reposé tout de même. Alors que le gens se lèvent tranquillement et mettent la table du petit dej, je vois les œufs et ai une envie soudaine d’en manger, chose qui est rare pour moi. Je prépare donc 4 œufs brouillés pour Rosette, Tim et moi.

10:00

C’est les montagnes russes quand même aujourd’hui. Le bateau, porté par deux houles bien formées monte de plusieurs mètre quand les deux vagues s’additionnent. On a la sensation de prendre 1G de gravité supplémentaire, ce qui donne par moment des hauts le cœur. Heureusement qu’on est un peu amariné car ça pourrait être insupportable sinon. On navigue aussi toujours avec le ris pris la veille ce qui est sûrement une bonne idée. On a parfois envie que le manège s’arrête pour descendre et reprendre nos esprits même si en soi c’est assez fun. Mais non, 30 secondes plus tard, deux grosses vagues venant de deux directions différentes se rejoignent et s’accumulent par l’arrière de notre bateau le soulevant, en une seconde, de 2-3m de haut. Et hop laaa on est compressé au sol. Le reste du temps on ramasse soit une vague par l’arrière plus petite où l’effet de soulèvement est moins fort, soit une vague sur le côté qui fait tanguer le catamaran et on joue aux équilibristes, les bras souvent chargés de quelque chose en train de marcher dans le carré comme une pile d’assiettes ou le grand saladier tout plein. Voilà, c’est une transat’ : une séance de proprioception qui dure 3 semaines. Et je ne détaille pas ici la réelle session de sport qu’on essaie de tenir chaque après midi dans un tel ballottement … 🙂

13:00

Changement d’heure: 13:00 –> 12:00
À 13h, il est midi! Comme on l’avait déjà fait une fois depuis notre départ des Îles Canaries, on décide de reculer l’heure Pegasus d’une heure. Étant seuls maîtres de notre horloge, ce changement d’heure s’impose naturellement à nous en traversant les méridiens. En effet, le soleil a pris de plus en plus ses aises et a même fait la grasse matinée ces derniers jours; Tim s’est retrouvé à faire son quart de 6h à 8h dans la nuit complète et sans l’apercevoir se lever. Après une discussion collective, tout le monde est d’accord de reculer d’une heure supplémentaire pour se caler au rythme du soleil, réduisant ainsi l’écart avec l’heure martiniquaise à deux. Genève et Paris sont donc à UT+1, Tenerife à UT, Pegasus est passé à UT-1 puis UT-2 et la Martinique est à UT-4. Je n’ai pas fermé l’œil cette nuit et la journée va être dure pour moi. Bien que la nuit s’est bien passée, je n’ai pas réussi à m’endormir à cause du bateau bougeait beaucoup…

16:00

Richard me parle depuis le carré me disant avec une main sur la bouche « la pastèque est dans le frigo, je répète, la pastèque est dans le frig… » d’un bon il sort du carré et crie « Baleine, baleine !!! ». Tout le monde monte sous le fly pour chercher au loin une baleine mais pas facile de la voir. Après plusieurs minutes à scruter l’océan, une baleine grise à ventre et nageoires caudales blanches apparaît. « Elle est à 5h, elle est à 7h! » on essaie de la repérer et de la filmer. Elle sort parfois de l’eau et on la voit cracher son air en petit « geyser ». C’est saisissant ! Elle nous dépasse, passe sous le bateau, repart derrière. On la voit dans le creux d’une grosse vague, on la perd et on la retrouve sur l’autre bord. Pendant 30 min, on profite de ce bal autour du Pegasus qui semble beaucoup l’intéresser. Un magnifique moment. 

18:00

Ce soir c’est pizzas ! J’ai préparé la pâte cet après-midi juste avant de voir la baleine. Quelle journée. Je m’amuse à faire le pizzaiolo, tourner la pâte, la passer de main en main. Ça fait rire les autres qui sont à l’apéro, c’est sympa. À 19h la première sort du four et tout le monde se régale tandis que la deuxième est déjà en train de cuire. Chacun se ressert, même Richard, ça fait plaisir.

21:50

Je m’équipe de mon gilet et monte pour mon quart. Mais je suis un peu triste car Rosette n’est pas très bien. Elle se plaint de douleurs aux lombaires. On ne sais pas trop quoi faire pour le moment. On lui propose de faire une bonne nuit avec un paracetamol et une bouillotte pour détendre ses dorsaux. J’espère qu’elle ira mieux demain et que tout ceci n’est dû qu’à une mauvaise posture de la nuit dernière.

Je me retrouve donc sous le fly. On a changé un peu les quarts pour que Rosette puisse dormir sans se lever. On navigue presque vent arrière faisant route direct sur la Martinique au cap 270 à environ 500 MN de notre destination. Vu les vents et les 7 noeuds de moyenne, on devrait arriver rapidement. 

22:00

C’est vrai que je ne me sens pas en super forme. Après le dîner, de grosses douleurs au bas du dos m’ont poussé à m’allonger dans le carré. Peut-être un faux mouvement qui m’aurait coincé un nerf ou créé des douleurs musculaires. Françoise et Richard me regardent avec un air inquiet, me demandant si j’ai assez bu pendant la journée. Ils s’inquiètent que ce soit les reins, ce qui serait embêtant à plusieurs jours de navigation des côtes. De mon côté, n’ayant jamais été sujette à des problèmes de reins, je ne m’affole pas. Françoise est adorable, elle démonte sa chambre pour me sortir sa bouillotte de sa valise bien cachée dans le compartiment sous son lit, et me donne des infusions de cranberries. La bouillotte bien calée sur les lombaires me fait du bien. Tout le monde s’organise aussi pour que je sois dispensée de quart, ce qui me touche. Je n’ai plus d’excuse et dois aller me reposer pour me remettre au plus vite. 

5 décembre

09:00

La nuit de sommeil complète m’a fait du bien, même si mes douleurs sont encore bien présentes. J’ai dû prendre du paracetamol pendant la nuit pour pouvoir fermer l’œil et vais en reprendre ce matin. Espérons que ça ira mieux pendant la journée.

11:00

Tim avait envie de nous préparer un brunch à l’anglaise depuis un long moment déjà. Et ça tombe bien, il a aussi fait des croissants!  On se retrouve donc plus tôt que d’habitude autour de notre table extérieure magnifiquement bien garnie! Croissants et pain aux noix maison, kidney beans à la sauce tomate, œufs brouillés, jambon cru. Que demander de mieux! C’est un régal et tout le monde est ravi.

17:00

Le soleil de fin de journée nous appelle sur le trampoline! Petite douche au jet d’eau salée et on se retrouve Tim, Pierrick et moi à l’avant du bateau pour sécher au soleil. Alain nous rejoint aussi pour quelques photos. On commence à sentir la nostalgie des dernières fois et on a envie de profiter pleinement de ce que nous offre ce voyage transatlantique. Bien regarder l’océan qui nous entoure, observer le roulis des vagues et l’écume qui s’y forme, parfois tout doucement, parfois avec fracas, chercher des yeux les poissons-volants et compter les secondes qu’ils passent hors de l’eau, sentir la brise marine dans nos cheveux et le soleil sur notre peau, essayer de retenir toutes ces sensations pour ne pas les laisser s’enfuir trop rapidement une fois de retour sur terre. 

6 décembre

08:30

J’ai un peu de peine à sortir du lit comme ça m’arrive des fois. Quand on est sur terre, ce qui me pousse hors du lit c’est l’envie du bon café qui nous attend. Éventuellement le petit déjeuner qu’on va se préparer. Mais ici, en mer, l’envie de café m’a quitté depuis longtemps. La simple odeur du café qui chauffe m’écœure. Le matin, on est un poil nauséeux sans avoir de mal de mer mais c’est vrai que la nourriture ne donne pas envie au réveil. On n’est plus très loin de notre destination. Environ 300 MN. Je me réjouis de retrouver un peu des habitudes terrestres.

10:00

Demain, c’est l’anniversaire de Pierrick! Et un anniversaire au milieu de l’Atlantique, ça se fête!

Avant d’embarquer sur Pegasus pour la traversée depuis Tenerife, j’ai été faire un tour dans le petit village de pêcheur où était amarré notre bateau pour trouver des bougies et autres bricoles pour l’occasion. Françoise m’avait accompagnée et c’était un chouette moment de partage entre femmes, à échanger sur nos vies en marchant dans les rues pavées. Nous étions tombées sur une petite boutique d’anniversaire… pour enfants! Des gâteaux en bonbons et réglisse, des cartes de voeux animaux, des bougies toutes mignonnes, des sucettes et des brochettes de bonbons. On a jeté notre dévolu sur deux bougies 2 et 4 (eh non, même si on dirait que Pierrick a 24 ans, c’est plutôt ses 42 ans qu’il fêtera cette année!) et quelques brochettes de bonbons très festives et colorées. Pierrick adorant les Ti Punch, on s’arrête aussi dans une petite boutique pour récupérer une bouteille de rhum (cubain à défaut de trouver du rhum agricole martiniquais) offerte par Françoise. Tout a été planqué dans la cabine de Françoise pendant la traversée pour éviter que Pierrick ne tombe dessus. J’espérais juste qu’elle résistera à la tentation de s’y attaquer pendant la nuit!

11:00

Je m’attèle à dessiner une carte de voeux pour Pierrick qui circulera ensuite discrètement entre les différentes cabines pour que l’équipage puisse y laisser un mot à l’attention de notre boulanger-pâtissier. Les mots sont super touchants et j’ai hâte que Pierrick en prenne connaissance!

7 décembre

00:10

Sympa de faire son anniversaire sur l’océan! Je commence mon quart tout tranquillement avec les yeux qui piquent un peu du réveil. J’ai réussi à fermer l’œil un moment car je n’ai pas entendu Rosette se lever à 22h pour le sien.

Une fois que mes yeux sont à nouveau opérationnels et que je ne sens plus le sommeil du lever, j’adore ce moment de 2h pour moi sous le fly dans le vent frais. Le bateau tangue dans les vagues dans la nuit. On ne voit rien mais l’auto pilote navigue comme un chef et on est bercé par la houle. C’est d’ailleurs un sentiment assez particulier que d’avancer automatiquement dans la nuit sans voir la route devant soi. Sur terre, c’est évidement impensable de le faire mais sur l’eau c’est un peu comme dans les airs ou même dans l’espace. Les instruments de bord nous indiquent la présence d’autres navires et il nous incombe de regarder de temps en temps l’écran de contrôle pour savoir si une manœuvre est à prévoir dans un moment ou pas. Mais comme tous les bateaux ne sont pas toujours visibles à l’écran, il est quand même nécessaire de scruter le noir à la recherche de feux au loin. C’est d’ailleurs souvent les bateaux de pêcheurs qui sont invisibles aux instruments car ils préfèrent garder leurs endroits secrets.

12:00

Ça y’est, c’est le jour d’anniversaire de Pierrick et accessoirement notre dernière journée en mer! On devrait atteindre la Martinique dans la matinée de demain. Deux occasions à célébrer en une!

Après le repas de midi, je m’attèle à la confection d’un gâteau au chocolat. Je mélange le cacao, la farine, le sucre et l’huile, avant d’ajouter les oeufs. Comme nos oeufs ont déjà plusieurs semaines de navigation à leur actif par toutes longitudes et latitudes, on a été très prudent jusqu’à présent, en les analysant bien un à un avant de les utiliser. C’est donc ce que je fais, les cassant dans un verre et m’assurant qu’ils avaient bonne façon avant de les ajouter à ma préparation. Sauf que j’ai été un peu vite, et ce n’est qu’après l’avoir mis dans l’appareil à gâteau que je réalise que le jaune est resté légèrement collé à la coquille intérieure de l’oeuf. En le sentant, je réalise qu’il sent effectivement mauvais. Mince! Et c’est comme ça que les poissons ont vu se déverser dans l’océan un appareil à gâteau pas cuit. Oeuf 1 – Rosette 0. Bon, il reste de quoi tout refaire, on se motive et on repart avec une deuxième tentative, cette fois plus réussie! 

16:00

Pendant que le gâteau cuit et que des odeurs alléchantes emplissent le carré, je me lance dans la préparation du repas de ce soir. Les lasagnes prévues laisseront la place à des pâtes sauce bolognaise, histoire que je ne fonde pas derrière les fourneaux par la chaleur et l’humidité antillaise qui se faisait de plus en plus marquée. 

18:00

L’heure de l’apéro a sonné! On sort la bouteille de rhum pour se faire des Ti Punch et trinquer à notre traversée incroyable et à l’anniversaire de Pierrick, le tout en musique bien sûr et avec beaucoup de sourires et de rigolades. Le beau soleil couchant était aussi au rendez-vous pour ce moment de fête mais aussi d’émotion. Tout l’équipage était ému en repensant aux moments aussi incroyables qu’improbables vécus à bord de notre petit palace. On s’échange des bracelets identiques faits de lave du volcan du Teide de Tenerife, le lieu où tout notre équipage génial était au complet. Ces bracelets auront traversé l’Atlantique comme nous, pour se retrouver de l’autre côté. Tout le monde les adore et les gardera au poignet en souvenir de cette belle aventure humaine partagée sur l’eau. Dîner et gâteau clôtureront cette soirée mémorable, avant d’attaquer nos tous derniers quarts de la traversée.

23:30

our ce dernier quart, je suis resté avec Rosette sous le Fly pour profiter de cette dernière nuit. L’heure est au bilan de cette traversée et l’on retrace cette aventure en se remémorant ces trois semaines sur l’océan. Au loin, un petit chapelet de lumière scintille. On le regarde en se demandant ce que ça pourrait bien être car sur notre écran il n’y a rien de visible. Bon, rien d’alarmant à priori. Dix minutes plus tard, ces lumières sont toujours là et sont de plus en plus fortes; on distingue du rouge, du vert et du blanc et elles semblent se diriger vers nous. Habitués maintenant aux situations bizarres sur l’océan, on ne s’inquiète pas trop mais on va chercher les jumelles. A travers les lentilles, on se rend compte que c’est en fait un gros bateau qui se dirige droit sur nous ! Ce n’est pas normal car il devrait être sur l’AIS; on pense alors à un bateau de pêche à la traîne. La tension monte d’un cran et on part réveiller Richard qui nous rejoint rapidement. A ce moment, le bateau est très proche et, après un moment d’hésitation, il nous dit d’empanner “tout de suite”. Dans la manœuvre, on voit le bateau passer sur notre bâbord alors d’une belle vague déferle sur notre flotteur tribord et déverse plus de 50 litres d’eau dans la cabine de notre pauvre Françoise qui dormait à poings fermés. En plus de son lit complètement trempé, on doit pomper l’eau de la cale pour la vider.

Une fois le danger écarté, Richard retourne se coucher mais cette dernière nuit n’est pas finie pour autant. 30 minutes plus tard, on traverse un grain qui nous fait changer de route en nous poussant au nord durant plus de deux heures, dans une pluie diluvienne et un vent froid. Tout le monde aura ressorti son ciré, rangé depuis Gibraltar, pour une dernière nuit riche en aventure…

8 décembre

06:00

Poussé par des vents généreux, je me réveille après une petite nuit et découvre à quelques miles que la terre est là ! Un sentiment incroyable nous envahit tous en sentant les odeurs d’humus au loin. On voit la végétation de la Martinique défiler sous nos yeux alors que nous approchons de notre destination finale, le port du Marin. 

09:30

Après avoir parcouru le long chenal du marin, nous arrivons au port. Pas le temps de rejoindre notre place d’amarrage que nous devons déjà dire au revoir à Timothée qui a trouvé un vol pour continuer son voyage au Brésil; il saute du bateau avec ses bagages sur un ponton visiteur et court trouver un taxi pour rejoindre l’aéroport. On le regarde s’éloigner en repensant à tous ces souvenirs passés avec lui. Les parties de belote et de poker menteur, les magnifiques salades qu’il nous préparait le midi et tous ces beaux échanges à refaire le monde dans notre petite bulle atlantique.

12:00

Rosette pose le pied pour la première fois en Martinique et je vois déjà dans ses yeux que cette ambiance lui plaît. Le sourire aux lèvres, on avance sur le ponton qui nous mène aux petits bars du port. On se regarde et sans parler on se dit “On l’a fait!”. Un petit fou rire nous gagne en pensant à cette folle aventure que nous venons d’achever. On s’assoit au premier bar qu’on voit, l’Annexe. C’est le QG des marins, skippers et voyageurs qui se retrouvent après un moment passé en mer. On lève notre verre de bière à cette traversée, un moment qui restera à jamais dans nos coeurs.