Santo Domingo et Buenos Aires

Cabin check, ready for landing

Je me tordais le cou par dessus l’épaule de Pierrick assis côté hublot, pour voir à quoi ressemblait la vue aérienne de la République dominicaine après la magnifique vision de la Martinique et ses eaux turquoises. Si si, nous atterrissions bien en République dominicaine, même s’il est vrai que cet état insulaire n’était pas du tout sur notre route. En effet, après des recherches intensives de l’itinéraire le plus simple et le plus direct jusqu’en Patagonie, force est de constater que très peu de destinations sont directement reliées à la Martinique, et que la grande majorité des vols visant l’Amérique latine passent par Saint-Domingue. Le nom en version française sonnant un peu trop chaste pour cette ville complètement déjantée, je préfère largement l’appeler de son nom hispanique: Santo Domingo. On sent tout de suite que c’est plus olé-olé, on sent déjà les odeurs de la ville mêlant rhum, effluves de cuisine et pots d’échappement, on entend les sons de la Bachata et du Merengue percer à travers le brouhaha de la rue, on a même le goût des épices qui nous emplit. Si la vision aérienne est des plus plates, la République dominicaine nous offrira les 24 heures les plus dépaysantes de notre voyage à ce jour!

Arrivés à l’aéroport, nous étions content de retrouver nos cartons de vélos entiers après ce baptême aérien pour Björn et Sirius. L’avantage de prendre l’avion avec des vélos, c’est que nos bagages sont déjà là quand nous arrivons, en plus de se faire attribuer des places aux premières loges, étant les premiers à se présenter au check-in par peur de ne pas pouvoir embarquer. A la douane, une question du regard sur ce qui s’y trouvait et un signe bien las de la main de la douanière qui n’avait, fort heureusement, pas vraiment envie de consacrer de temps à une fouille en cette fin de journée chaude. Une fois la douane passée et à l’ouverture des portes d’arrivée, nous ne nous attendions pas à la densité de la foule qui nous accueillait de l’autre côté, ni au brouhaha intense qui l’accompagnait. L’Europe et notre chère petite Martinique étaient tout d’un coup bien loins et on avait l’impression de débarquer à Cuba en pleine fête nationale. Bienvenido a la República Dominicana! 

Poussant nos deux vélos sur notre chariot, les locaux très typés nous regardaient avec un air mi-intrigué mi-amusé, se demandant ce que nous pouvions bien trimballer de si encombrant. Très vite, de grands signes de bras ont attiré notre attention: notre chauffeur de taxi était là, à nous attendre, son chapeau de paille sur la tête. La taille des cartons ne semblait pas vraiment l’inquiéter, et à notre question de savoir si ça passera il a répondu avec un grand sourire “Ya veremos!” – on verra bien! La voiture s’arrêta en plein trafic quelques longues minutes pendant lesquels notre dominicain baissait les sièges arrière et essayait tant bien que mal de pousser nos énormes cartons dans la bagnole. C’est passé, ouf! Direction l’hôtel réservé à quelques kilomètres de l’aéroport pour notre nuit d’escale, aux sons typiques de la Bachata née dans ce pays, moment pendant lequel notre ami nous parlait, entre deux gorgées de bières, de sa famille et du bonheur d’avoir des enfants qu’il voulait nous faire promettre d’en faire!

Arrivée dans Boca Chica, notre quartier d’hôtel. Des locaux peuplaient les bars qui débordaient de part et d’autre de la rue et donnaient envie d’y faire un tour, malgré les conseils de notre ami de ne pas discuter avec les gens ni de se faire offrir quoique ce soit. Même son de cloche de la part de l’adorable réceptionniste de l’hôtel qui chantonnait des Roseeettaaaa (soit disant le nom des socles d’ampoules!) toutes les 3 minutes, avec ses grands yeux rieurs aux longs cils et ses belles formes voluptueuses. “Ne parlez pas aux gens et ne prenez rien qu’on vous tende. Rien n’est gratuit et il y a beaucoup d’entourloupes et d’arnaques dans le quartier”. S’il est vrai que les sites gouvernementaux sont toujours alarmistes même au sujet de villes comme Genève, c’est franchement rare que les locaux le soient autant. On aurait été prévenu mais on avait quand même envie d’aller faire un tour dans le quartier, histoire d’humer un peu d’ambiance locale, ces 24 heures étant la seule opportunité de se faire une première impression de la République dominicaine. 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le quartier était vivant! Des vendeurs de rue proposaient toutes sortes de street food, de fruits de mers transportées dans des seaux ou de boissons fruitées, des femmes latinos ou asiatiques nous proposaient leurs services de massage à tout va, la musique emplissait la rue et tout le monde sirotait la bière locale, Presidente. Installés sur une table en plastique au bord de la fameuse plage du coin aux palmiers penchés représentés sur toutes sortes d’objets souvenirs, nous étions bien loin de l’ambiance quelque peu stérile de Punta Cana et ravis de cette mise en bouche dominicaine!  

Comme si on rembobinait le film, nous repartions en sens inverse le lendemain après-midi avec notre chauffeur toujours coiffé de son chapeau et qui connaissait bien maintenant nos cartons et leur poids respectifs. Check-in plus rapide à l’aéroport cette fois-ci; nous prenions déjà nos aises avec notre chargement de 155x87x26cm (deux fois)! Le check-in pour Buenos Aires fait, nous nous sommes vite retrouvés dans l’avion prêts à fêter le réveillon avec les hôtesses de l’air apprêtées pour l’occasion. Eh oui, nous étions le 31 décembre, un bien caractéristique de cette année improbable que nous étions en train de vivre!

Cette fois-ci, j’avais droit à la place hublot et j’ai gagné au change: quel spectacle à l’arrivée au dessus de Buenos-Aires, quelques 8 heures plus tard! Il était 3 heures du matin le 1er de l’an, et pas une ampoule de la ville n’était épargnée. Une mer scintillante qui s’étendait sur une distance telle qu’elle disparaissait même à l’horizon. Une belle manière de visualiser ce que deuxième plus grande ville d’Amérique du Sud veut dire, après Sao Paulo! Notre visite de la ville et ses 200 km de longs ne tarderont pas à nous permettre de nous en rendre compte autrement que par les airs.

A l’arrivée à l’aéroport, nous poussions nos énormes cartons vélo sur notre chariot sans savoir encore où nous allions. A peine sortis, nous fûmes accostés par Diego, un chauffeur de taxis au grand sourire qui nous proposa de nous conduire à notre hôtel, accompagnés d’un de ses compères s’il lui serait difficile de nous embarquer tous les 4 (avec Björn et Sirius bien sûr). Complètement pris de cours, n’ayant pas encore fait nos recherches sur la situation des taxis à l’aéroport et n’ayant aucun peso argentin sur nous, nous n’étions pas encore “préparés”. Mais le flair de Pierrick et la confirmation du chauffeur de pouvoir payer par carte nous encouragèrent à accepter la proposition. Une fois les vélos dans l’habitacle, il ne restait la place que pour un passager. Nous avions deux secondes pour nous repartir: Pierrick avec les vélos, et moi dans la deuxième voiture. Sauf qu’une fois les taxis en route, je fis le point sur ma situation et une multitude de films se déroulèrent dans ma tête: j’étais seule, sans internet, sans téléphone qui fonctionne, sans le sou, sans cartes, et je me faisais conduire dans cette énorme ville totalement inconnue par un chauffeur pour le coup beaucoup moins affable que le premier. 30 minutes pendant lesquels je me retenais de me retourner pour éviter de donner l’impression que je me sentais en insécurité et tentais de contenir mon imagination sur les enlèvements de touristes et autres arrêts forcés au bancomat pour retirer toutes les liquidités possibles. Sans aucune idée à ce moment précis de la difficulté que constituerait ce dernier point pendant notre séjour en Argentine! Dieu merci, tout se passa sans encombre et nos deux argentins nous déposèrent à l’endroit indiqué, pour cette première nuit de 2024 qui s’annonçaient de bonne augure, à la chambre 707 du 7ème étage. 

Au réveil, beaucoup d’excitation de découvrir la ville qui m’offrirait mon tout premier contact avec l’Amérique du Sud! Une ville mosaïque avec une multitude de quartiers aux ambiances très différentes. Le centre, qui ne représente que 20% de la superficie de la capitale, capte toutefois 80% de l’intérêt des voyageurs (Pareto, quand tu nous tiens!). Nous avions opté pour le quartier de Palermo du nom du marin sicilien qui y échoua au XIXème siècle, un quartier résidentiel de larges avenues doté d’immenses parcs et où les restos et les bars branchés ne manquent pas. Tellement branché que le mot “Palermo” est devenu synonyme-même de chic et se décline à toutes les sauces dans la capitale! Tous les quartiers environnants qui ont pu se l’approprier n’ont pas hésiter: Palermo Soho, Palermo Chic, Palermo Hollywood, etc. 

Difficile de faire plus cosmopolite que cette ville; on sent toute de suite les influences latines, italiennes, espagnoles, françaises ou américaines qui se côtoient et se mélangent dans un tableau tout compte fait très réussi. Nous avions l’impression de déambuler dans une ville très européenne, se sentant parfois à Paris, parfois à Barcelone ou encore à Madrid. D’autant plus que le métissage est tel que les locaux sont très peu typés. Tout le monde nous prenait pour des argentins et nous parlait systématiquement en espagnol: moi je veux bien, mais Pierrick avec sa tignasse rouquine, quand même! Les gens sont très sympathiques et serviables, ont souvent le sourire et sont contents de prolonger la discussion. Nous étions heureux que nos bases d’espagnol soient gentiment revenues et qu’elles nous permettent de papoter et même de rigoler avec les argentins. 

La ville est quadrillée, les noms de rues sont souvent celles de différents pays (Uruguay, Paraguay, Costa Rica) et les directions se comptent en nombre de quadras – carrés! Elle est incroyablement propre, il n’y a quasiment pas de mendicité et étonnamment très peu de supermarchés mais beaucoup de petits Kioscos où l’on peut acheter l’essentiel, argentin ceci-dit car parfois on y trouve toutes sortes de boissons mais… pas d’eau! C’est dire l’amour des argentins pour les boissons sucrés, après celui de la viande évidemment.

Impossible de parler de l’Argentine sans évoquer la situation économique très difficile que traverse malheureusement le pays depuis plusieurs années, renforcée par l’élection récente du nouveau président d’extrême droite, décrié pour son approche assez radicale pour tenter de redresser le pays. L’inflation vertigineuse est telle que 1 USD, qui valait autour de 9 pesos argentins en 2015, vaut maintenant plus ou moins 900 pesos, ce qui équivaut à 10’000% d’inflation! “Plus ou moins” 900 pesos parce que le taux de change évolue au gré des journées. Il existe d’ailleurs deux taux de change: le taux officiel appliqué par les banques et le taux officieux (Blue dollar), beaucoup plus avantageux, qui s’est développé sur un marché parallèle, les argentins souhaitant plus que tout échanger leur devise contre des dollars américains pour sauver leurs économies.

Dans les restaurants et les supermarchés, les prix ont tout simplement disparus des menus et des étalages qui n’arrivent pas à s’actualiser à la vitesse de fluctuation de la devise. Impossible de retirer des pesos aux bancomats avec nos cartes de débit/crédit, et nous avions quasiment testé tous ceux de Buenos Aires! Heureusement et contrairement a ce qui est dit sur la quasi-totalité des blogs et des forums que nous avions lus jusqu’ici, nous arrivions à payer sans difficulté avec nos cartes de crédit qui nous offraient un taux de change même assez intéressant! Notre identité était toutefois vérifiée à chaque paiement par carte et notre numéro de passeport relevé. Pour avoir quelques liquidités pour les fois où il nous serait impossible de payer par carte, nous avions utilisé Western Union pour nous envoyer de l’argent, mais c’était aussi tout un programme parce que toutes les agences ne détiennent pas suffisamment de liquidités pour nous en donner. En bref, c’était très sportif comme séjour du point de vue de l’argent!

Nous étions aussi très étonnés de la dissonance entre le prix de certains biens. Sans surprise, la marchandise importée a un coût très élevé, alors que les biens locaux étaient incroyablement peu chers. Quand un câble iPhone coûte par exemple 70$, 8 centimes permettent d’aller au bout de la ville en métro en dégustant un empanadas à 40 centimes! Une situation qui peut sembler déroutante quand on arrive de la Suisse qui est bien loin de tous ces soucis, mais qui nous est toutefois malheureusement bien familière étant donné qu’elle est très similaire à celle traversée par le Liban. 

Malgré toutes les difficultés économiques et sociales que traverse le pays, il se dégage de Buenos Aires une aura particulière, une ambiance assez alternative, un brin artiste, très colorée, qui baigne dans la musique latino et où le tango est toujours roi. Les porteños – habitants de Buenos Aires – ont toujours le sourire et il est difficile de ressentir le poids de ce qu’ils traversent en se baladant dans ces rues, s’attablant dans les restaurants ou dans les bars surbookés où s’enchaînent les rythmes effrénés. Au moment où Diego revient nous chercher avec son grand sourire et sa tchatche sans pareil pour nous emmener à l’aéroport, le moins qu’on puisse dire c’est qu’on repart de cette belle Buenos Aires charmés et avec un vrai pincement au coeur, mais heureux de pouvoir prolonger encore notre séjour en Argentine et d’en découvrir une facette complètement différente, à seulement quelques milliers de kilomètres de là.

Une réponse à “Santo Domingo et Buenos Aires”

  1. Trop chouette!!!

    On est vraiment très fans! Et quel dépaysement, quel super article. Continuez comme ça, vous nous faites super envie!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *