Quand l’avion se pose sur le tarmac du petit aéroport à 20km de El Calafate, on se regarde dans les yeux sans dire un mot avec le même pensée qui nous traverse l’esprit: “Qu’est-ce qu’on est venu faire ici ?”. Quelques minutes avant, on voyait apparaître derrière le petit hublot un immense paysage aride variant entre jaune, ocre et vert clair – probablement des arbustes ou un peu de végétation. Seule une route traverse presque en ligne droite du sud au nord ce qu’on pourrait qualifier de désert. Après cet échange de regards, on comprend bien que la douce Europe est bien loin de nous et que dans quelques instants on va se retrouver sur nos montures, chargés de nos sacoches, et rouler dans cet univers qui semble un peu intimidant.
C’est dans le hall de l’aéroport que Björn et Sirius retrouvent leurs roues et porte-bagages. Quelques tours de clés et voilà qu’ils sont prêts. Le premier contact avec la Patagonie commence par une jolie rencontre, Fanny, une genevoise qui nous a vu arriver avec nos gros cartons. On remarque que ses yeux brillent des mille aventures qu’elle se remémore en nous voyant; elle aussi voyage à vélo. Partie de Buenos Aires, elle est remontée jusqu’en Equateur en passant par Bariloche, la Bolivie et le Pérou. Un voyage incroyable qu’elle nous raconte tout en nous donnant plein d’astuces, groupes WhatsApp et endroits à ne pas manquer. On apprend même qu’elle possède le même vélo que nous, acheté dans le même magasin à Vevey. RandoBike represent !
C’est donc plein d’entrain et de motivation qu’on enfourche nos vélos et qu’on sort de l’aéroport, avant… de se regarder à nouveau sans rien se dire avec la même pensée que dans l’avion. Mais qu’est-ce qui se passe ici. On était prévenu du vent et on avait déjà bien pédalé à Martigny, mais ces premiers 20km pour rejoindre El Calafate vont être un vrai baptême du vent pour nous deux! Alors on pédale et on avance doucement, ayant troqué nos habits de cyclistes pour le pantalon et la Goretex, une petite protection supplémentaire qui fait du bien. Les shuttles pleins de touristes nous dépassent à grande vitesse; certains nous sourient, d’autres nous montrent du doigt à côté de leurs voisins rendormis de leur petite nuit, visage collé à la vitre, les yeux fermés et la bouche ouverte. On se dit que là, tout de suite, on serait bien avec eux dans ce petit habitacle presque douillet qui fend les rafales. Malgré tout, les paysages qui défilent sous nos yeux sont magnifiques et le Lago Argentino dévoile ses couleurs d’un bleu turquoise comme on en a rarement vu.
Ce premier contact avec la Patagonie nous fait un peu douter de la suite, les lèvres déjà brûlées par l’intensité des UV, ici où le trou dans la couche d’ozone est toujours bien béant. L’indice UV correspond en effet à ce qu’on trouve à 3’000m d’altitude dans nos montagnes. La vue du village d’El Calafate nous donne le sourire. Après cette première épreuve, on profite d’une bière Patagonia au bar du même nom, un petit cliché qui fait plaisir. Bien que le village est assez grand, la plupart des commerces et activités s’étendent de part et d’autre de la plus grande rue; principalement des restaurants, bars et boutiques de sport ou de souvenirs. On a l’impression d’être en station de montagne où se croisent touristes en tout genre. La nuit tombe tard à cette latitude mais on ira malgré tout se coucher tôt dans la jolie chambre colorée de l’hostel Lago Argentino. Nos 12h de sommeil étaient bien méritées.
Les trois jours que nous passons à El Calafate signent le début du troisième volet de notre voyage avec la reprise du vélo mais surtout la préparation de la suite, la redoutable route qui rallie El Calafate à El Chaltén. Elle est redoutée des cyclistes pour les forts vents qui soufflent et le peu d’eau dans ce désert aride que nous devons traverser pour venir à bout de ces 215 km en autonomie. Durant ces quelques jours de préparation, on se rend vite compte que la crise économique que l’Argentine subit en ce moment est partout et nous n’avions pas anticipé l’impossibilité de retirer de l’argent sur place. Aucune banque ne permet aux touristes de retrait et le seul Western Union que nous pensions utiliser no functionado. Heureusement la carte bancaire est acceptée presque partout, mais on nous met bien en garde que plus haut à El Chaltén il n’y aura aucune possibilité de faire des retraits et qu’il n’y aura que des casa de cambio (bureau de change) mais avec les 200 dollars qu’on a sur nous, on n’ira pas bien loin. Durant le séjour à l’Hostel Lago Argentino, on a la chance de croiser Florence et Denis, un couple de retraités français en vacances qui nous procureront des liquidités contre un virement sur leur compte bancaire. Ouf! Ici, dans ces endroits retirés, l’aventure est à tous les niveaux, l’information est difficile à trouver internet ne fonctionnant presque pas et ces trois jours auront été nécessaires pour la planification de la suite.
Quand on vient à El Calafate, on DOIT aller voir le glacier du Perito Moreno. Et c’est un ordre ! Le gérant de notre hostel, un charmant jeune homme qui a ouvert l’endroit il y a quelques années nous dit: « You have to go to the glacier, no matter how and when but I won’t let you leave without seeing it ! ». Est-ce par pur chauvinisme qu’il nous dit cela ? Il ne me semble pas, il y a dans ses yeux une vérité et on sent qu’il serait triste de nous voir quitter le village sans avoir fait face à ce mur de glace gigantesque avançant chaque jour de 2m contre la rive. Le seul glacier qui ne recule pas. Le guide du routard aussi indique 3 bonhommes à cet endroit. On s’épargne les 150km aller et retour à vélo en prenant un bus qui nous laisse ensuite gambader quatre heures dans le parc. La visite en valait largement la peine! Bien qu’étant habitués aux glaciers alpins, ici les dimensions sont tout autre. Les 70m de front qui ne sont qu’à quelques centaines de mètres du point de vue sont saisissants. Cette immense langue glacière de 14 km de long avance chaque jour jusqu’à toucher la rive d’en face, bouchant périodiquement le lac sur sa droite qui se remplit avec la fonte de la glace jusqu’à ce que la pression de l’eau provoque la rupture du pont de glace, phénomène connu sous le nom de Ruptura. Un cycle qui arrive environ tous les quatre ans. Durant notre visite, on a la chance d’apercevoirun gros morceau tomber dans l’eau dans un fracas assourdissant, un autre phénomène qui arrive parfois en fin d’après midi.
Notre devoir de touriste effectué, plus rien ne nous retient ici si ce n’est la petite crainte de nous lancer dans la prochaine aventure mais les vents semblent vouloir nous épargner les grosses rafales sur les deux prochains jours, alors on enfourche nos Björn et Sirius si contents de reprendre la route dans cette une petite fenêtre météo plus tranquille. On met trois jours pour parcourir la distance qui nous rallie à El Chaltén. Nos vélos avancent fièrement dans ce paysage sauvage où les guanacos sont plus nombreux que les argentins. Cette petite bulle de solitude nous fait beaucoup de bien, on retrouve la joie du camping sauvage près d’une rivière et dernière une colline pour nous abriter du vent. On retrouve aussi la joie des premiers jours sur la selle et les douleurs qui vont avec, mais on avance de bon train en choisissant nos pauses près d’un cours d’eau pour conserver le volume de nos 5l d’eau toujours plein. Les voitures sont rares mais leurs passagers ont souvent un petit sourire pour nous encourager. Mêmes les motards nous lèvent le pouce, nous considérant un peu des leurs quand il nous croisent.
Sur la route, plusieurs habitations à l’abandon ont trouvé comme seconde vie un abris pour les cyclistes, la plus connue: “Refugio Casa rosa”. Pensant le lieu abandonné, on en profite pour y entrer. Dans un état quelque peu délabré où le plancher laisse apparaître les fondations et où les fenêtres, depuis longtemps débarrassées de leurs carreaux, sont comme des tableaux donnant sur la nature extérieur, on marche dans ce décor qui sent le voyage. Les murs, peints d’une couleur différente dans chaque pièce, sont remplis d’inscription, de dates, de messages ou dessins, traces que les voyageurs ont voulu laisser de leur passage. Alors que nous nous prenons en photo devant la cheminée qui semble toujours pouvoir réchauffer les lieu en cas de besoin, une voix venant de l’extérieur nous interrompe: “Do you know you’re on a private property ?”. Interpellés, on sort encore vêtus de notre casque et appareil de photo en main pour se retrouver face à 4 argentins qui se trouvent être les propriétaires des lieux. Après quelques mots, ils nous expliquent qu’ils habitent au nord de la Patagonie et que ces terres leur appartiennent. Rares sont les fois qu’ils viennent ici mais ils sont toujours tristes de voir dans quel état se trouve leur maison à la suite des multiples passages des cyclistes qui, selon eux, ont accélérés la dégradation des lieux. Ils ignorent sûrement que leur maison est citée et vantée sur tous les sites et blog de cyclovayageurs et même dans certains guides de voyage. Tout ceci nous fait encore une fois penser que même à vélo, le flux pourtant moindre des voyageurs mais passant aux mêmes endroits, détruit rapidement ces habitations à l’image des sentiers creusés par les milliers de randonneurs parcourant chaque année le chemin jusqu’au Laga de los Tres depuis El Chaltén. On quitte les propriétaires qui retournent dans leur région après un chouette échange et une belle poignée de main, marquant tout de même le respect de nous voir voyager sur nos bicis dans cette région bien aride, et nous continuons nous aussi notre route pour rejoindre El Chaltén.
Les derniers 90km sont les plus durs, longeant de loin le Lago Viedma jusqu’à El Chaltén. Une peine qu’on oublie facilement face au Fitz Roy qui se détache de l’horizon comme le graal à atteindre, notre but. Une journée entière sur cette ligne droite à contempler ce molosse de granite entouré de plusieurs aiguilles dont Guillaumet ou encore l’aiguille Poincenot, nom donné en mémoire de l’alpiniste français qui participa à la première ascension du Fitz Roy mais qui y perdit la vie suite à une chute. Au sud-ouest, on voit également apparaitre les lignes vertigineuses du magnifique Cerro Torre, à cheval entre l’Argentine et le Chili. On avance donc doucement face à ces montagnes qui se rapprochent à notre rythme. Les jeux d’ombres sur les versants transitent entre l’ouest et l’est. Il y a quelque chose de perturbant quand on est dans l’hémisphère sud; l’arc que fait le soleil en se déplaçant d’Est en Ouest transit par le Nord et non par le Sud, ce qui perturbe un peu mon sens de l’orientation, habitué de voir les ombres pointées au nord dans notre hémisphère. Ici, ce sont donc les faces sud les plus sauvages et les plus dangereuses, contrairement aux faces nord de nos Alpes.
El Chaltén. On aime ou on n’aime pas. Pointé du doigt comme un village sans harmonie architecturale, il a poussé comme un champignon en quelques décennies et est aujourd’hui devenu un point central dans le tourisme local. On y voit des randonneurs et grimpeurs parcourant ces petites rues à la recherche de denrées pour leur prochain picnic ou d’un vrai ravitaillement pour les 4-5j de trek du Vuelta al Cerro Huemul. Nombreux sont aussi les restaurants et bars brassant leur propre IPA, une ambiance bien sympa dans un village effervescent où les rues sont balayées par des nuages de poussière dans des violentes rafales. On passera 5 jours au camping El Relincho, rempli de tentes de toutes les couleurs accolées les unes aux autres, une véritable tanière de randonneurs et de cyclovoyageurs. A travers les multiples rencontres entre voyageurs, on s’échange bons plans et idées de randonnées. On se lie d’amitié avec Daniel et Heidi, un charmant couple d’américains originaire de l’Oregon et de Utah aux Etat-Unis, avec qui ont partira plus tard sur la fameuse route nous menant au Chili. Ils nous présentent un ami de route, Max, un jeune français qui parcourt le monde seul à vélo depuis deux ans et demi. Un sacré personnage dont les aventures sont très inspirantes.
Durant cette petite semaine aux portes du Chili, on profite de se rapprocher du Fitz Roy jusqu’à la Laguna de los Tres et du Cerro Torre un autre jour. Deux magnifiques randonnées et une ambiance de haute montagne qui nous saisit au pied du Fitz Roy. Les aiguilles de granite s’élèvent devant nous, elles nous rappellent les quelques sorties d’alpinisme de l’été dernier. Le poids d’une corde dans le dos et les baudriers chargés de mousquetons nous manquent un peu, mais notre itinéraire est tout autre et on a déjà la tête dans le prochain grand préparatif, le passage de l’Argentine au Chili par le sentier qui rebute bien des cyclistes face aux difficultés du terrain mais aussi à cause du prix des 2 ferrys à prendre pour atteindre la première ville chilienne, Villa O’Higgins.
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