La Martinique

En quittant la Martinique par les airs, je regardais le bleu de l’océan, de là-haut la houle paraissait être de petites vaguelettes formant une comme une grande peau de cuire tannée avec le reflet du soleil. Des airs, on se rend encore mieux compte de l’immensité de cet espace bleu que recouvre l’Atlantique à perte de vue. Les grands tankers de 300m de long qui nous impressionnaient quand ils croisaient notre route sont finalement bien petits sur cette nappe d’eau salée. Et nous ? Comment de si petits êtres à taille insignifiante, quelque peu déconnectés de l’écosystème naturel de la vie sur Terre, peuvent avoir un impact si important ?

La Martinique. Elle était notre destination et nous l’avions rejointe à la voile par la route sud depuis Las Galletas à Tenerife. Ce n’était pas la première fois que j’y venais mais l’émotion d’y arriver par ce moyen m’a permis de redécouvrir cet endroit sous un autre œil.

Je me rappelais que quand on se pose aux Antilles, venant de la Suisse ou plus généralement de l’Europe, on doit se mettre au diapason car ici la vie est tranquille, on ne se presse pas et tout ira bien, « Pani Pwoblem » comme on dit. C’est un rythme qui n’est pas facile à adopter, car les 9h de vols ne sont pas assez longues pour nous faire oublier nos habitudes d’européen (ou métropolitains comme disent les locaux). De Paris, on arrive souvent avec le besoin que tout aille vite – après tout, on n’a qu’une semaine sur place sans compter les deux jours de « perdus » dans le transport aller-retour, et tant de choses à faire. Aller se baigner dans une anse différente chaque jour, profiter de la plage des Salines au sud pour vite aller voir la savane des pétrifications – sans aller trop loin car la nuit tombe vite ici. Trouver le bon créneau pour grimper la montagne pelée sans nuage, réserver un restaurant pour le réveillon de Noël, etc, etc. Ayant eu la chance d’être arrivé en bateau au Marin, le grand port de la Martinique, on était déjà dans l’ambiance créole. Rien de presse, on verra ce qu’on va faire. Et le temps, on l’avait.

Nous étions arrivés le 8 décembre et devions rendre le bateau le 12. Quatre jours durant lesquels nous avions encore occupé nos cabines et sommes allés mouiller à Grande Anse d’Arlet, plus au nord sur la côte Caraïbes, avec l’un des deux autres catamarans de la flottille. Une des premières choses qui frappe quand on découvre la Martinique, c’est la végétation ! Elle est dense et luxuriante, verte fluo parfois, elle pousse partout et donne un aspect de laine de mouton aux collines quand on la regarde de loin. Depuis notre mouillage au milieu de l’anse, la vue qui nous faisait face était magnifique. De petites maisons créoles ci et là parsemaient les collines. On se demanderait presque comment s’y rendre tant les arbres couvrent les routes et chemins qui les relient. C’est peut-être ce qui impressionnait le plus Rosette, elle qui voyait cette jungle pour la première fois.

En fin de journée, Alain, aux commandes du dinghy, faisait la navette entre les deux catamarans pour regrouper les équipages des deux bateaux. Tout le monde se bousculait en cuisine dans un ambiance festive, improvisant un joyeux apéro avec le meilleur de ce qui restait de nos trois semaines de navigation. Guacamole, houmous, toasts, salades, tartes salées, gâteaux, tout y était. Notre ami Sergei confectionnait toutes sortes de cocktails sur demande, et quand un ukrainien est en charge, il ne lésine pas sur la dose! On partageait nos expériences vécues, nos moments mémorables, nos galères aussi, comment chaque équipage avait fait ci ou ça, résolu tel ou tel problème. Ce fut une belle soirée partagée avec l’équipage du Thonic Dream sur un Pegasus fier d’accueillir autant de marins, avant que notre Alain ne ramène tout le monde chez soi dans sa navette improvisée.

Durant ces quelques jours restants, on repoussait le moment des adieux jusqu’aux derniers instants, mais les avions n’attendraient pas et ceux qui avaient des billets s’en sont allés retrouver leur famille et vie, en Europe pour la plupart.

Pour la suite de notre séjour martiniquais, on se retrouve Rosette et moi à Saint-Anne, dans une petite maison créole, gentiment prêtée par des amis bretons qui y viennent régulièrement. Trois semaines devant nous pour profiter de la tranquillité de ce petit monde de l’archipel des Antilles, dans la belle mer des Caraïbes. On décide de laisser Björn et Sirius se reposer aussi avant le périple qui les attendait dans quelques semaines. Entre le relief qui monte et descend en permanence, l’humidité, la chaleur et surtout la circulation sur ces routes sinueuses, on se rend vite compte que la pratique du vélo est ici une hérésie. En discutant avec certaines personnes, les seules qui faisaient du vélo sur l’ile ont depuis longtemps arrêté ou sont passées au pur VTT hors des sentiers battus, car la circulation est dangereuse (surtout après l’heure du ti’punch!) et les gens ne s’attendent pas à voir débouler un vélo dans le creux d’un virage. On s’est donc rangé à la majorité, et c’est dans une petite Clio affichant 3’000km au compteur qu’on explorera les environs. Des découvertes et aventures qu’on sera heureux de partager avec Alain et Françoise qui ne repartaient tous deux que le 15 décembre.

Le guide du routard qui passe de main en main commence à ressembler à un vrai petit bouquin de voyageurs, des post-it marquant les pages griffonnées d’annotations. On se concentre sur les endroits estampillés par les 3 petits bonhommes et un matin on part pour une randonnée à La Savane des pétrifications. C’est peut-être l’endroit le plus atypique de l’ile. Alors que la végétation recouvre presque l’entièreté des 1’128 km2, le sud de l’ile, la partie la plus ancienne érodée par les vents et qui rappelle la planète Mars, est une zone aride et désertique. Les couleurs jaune, orange et ocre contrastent avec le vert de certains cactus et le gris des grains qui se font menaçants. La randonnée est de toute beauté. 

En partant de la plage des Salines, le sentier qui traverse la savane nous amène vers l’Anse Trabaud sur la côte Atlantique, encore bien sauvage. Le chemin longue la mangrove et les palétuviers où une multitude de petits crabes farouches ne tardent pas à gagner leurs petits trous à l’arrivée de nos pas tandis que les bernard-l’ermite, eux, se recroquevillent dans leur coquille empruntée. On est face à l’océan, à l’ombre des cocotiers, profitant de cette plage de sable blanc épargnée des sargasses qui, cette année, sont restées bien loin des côtes.

La Martinique, comme la Guadeloupe, est connue pour ses rhums agricoles. “Alors … dégustation ?”. Une petite visite de rhumerie s’impose rapidement car bien qu’il pleuve tous les jours, ici, l’eau n’est pas souvent invitée à l’heure de l’apéro. Le rhum est à la base de la majorité des cocktails mais on le boit souvent sec – ou presque, avec un petit quartier de citron vert et une cuillère à café de sucre. La voilà la recette du fameux Ti’Punch ! En fait, le sucre n’est pas vraiment nécessaire car on croirait déjà sentir les arômes du sucre de canne émaner de ce petit cocktail à 50 degrés. La richesse du rhum agricole, c’est qu’il est directement produit à partir de canne à sucre; l est chauffé, fermenté puis distillé sans aucun autre ajout. Chaque maison a son petit secret et, entre nous, ils sont tous bons mais j’ai une préférence pour le Neisson, une petite production familiale qui sorte quelques bouteille en bio chaque année. En tout cas, le rhum fait la fierté des martiniquais et les habitués n’attendent pas l’apéro du soir pour en boire car le premier punch se boit le matin à jeûn et s’appelle… le décollage!

Comme nous approchons des fêtes, les municipalités avaient commencé leur décoration de Noël. De gros paquets cadeaux colorés dans les ronds points, des guirlandes dans les cocotiers ou des étoiles géantes illuminées à l’entrée des villages, nous rappellent à tous cette ambiance feutrée des fêtes même si la neige ne figure pas au tableau. Cependant, ici, ce qui caractérise le plus l’arrivée du 24 décembre, ce sont les petits marchés mais surtout les “Chanté Nwèl”. C’est ce que nous avait dit une vendeuse de foulards: “Allez aux Chanté Nwèl! Il faudra juste amener à boire et à manger et vous verrez.” Les semaines qui précèdent l’événement, certains villages organisent dans une case un rassemblement de personnes qui apportent bouteilles de rhum et nourriture à partager et qui viennent chanter les cantiques de notre enfance à la façon créole. 

Le 23 décembre, Anne-F, une amie coéquipière de la transat restée en Martinique avec son ami nous parle d’un Chanté Nwèl au Morne-Vert. On se donne rendez-vous là-bas avec deux autres couples de la transat. Dans le village mal éclairé, les voitures commencent à s’entasser dans la ruelle qui donne sur la Case des Pitons. On se demande ce qu’on fait là avec nos 2 gros cabas pleins de pâtés-salés, quiche, Ferrero Rocher et bouteilles de rhum. La dame derrière le comptoir du couvert embarque nos courses pour les mettre à l’arrière. Trente minutes plus tard, des gens arrivent en masse avec, eux aussi, les bras chargés de pâtés salés et de bouteilles de rhum. On s’entasse dans cet espace à moitié fermé. Un monsieur qui semble être connu de tous les convives, s’installe au fond de la salle, sort son jambé créole et se met à battre les rythmes qui accompagneront l’assemblée, des locaux pour la plupart, à chanter et danser durant toute la nuit. 

La soirée monte vite en puissance, les verres se remplissent de rhum et se vident aussitôt, les pâtés-salés réchauffés transitent à travers la foule sur des plateaux. On essaie d’en attraper de temps en temps pour éponger les gorgées de Ti’Punch qui commencent à se faire sentir.

L’immersion est totale. Parmi les locaux du Morne-Vert qui nous ont tous accueilli avec sourires et bienveillance, cette soirée restera dans nos souvenirs comme une expérience hors du commun. On quittera cette ambiance vers les 2h du matin, apercevant certains locaux endormis dans leur voiture parquée tandis que d’autres continuent de danser sous les percussions de notre batteur qui ne doit plus sentir le bout de ses doigts.

Le lendemain, pour prolonger la bonne ambiance de la veille, on se donne rendez-vous, tous les huit, pour fêter Noël chez Anne-F et Etienne dans une ambiance cette fois plus reposante au son des grenouilles et des grillons, à cuisiner notre repas de Noël, jouer et rire aux éclats jusqu’à tard dans la nuit… Pas si reposant que ça la Martinique tout compte fait, et c’est sans compter l’ascension de la Montagne Pelée!

La Montagne Pelée, un volcan actif qui rasa la plus grande partie de la ville de Saint-Pierre en 1903, ne se réveillera pas tout de suite. Avec une fréquence d’éruption tous les 6000 ans, il semblerait qu’on ait le temps de monter et redescendre en toute sécurité. Quoique, mis à part la lave qu’on ne verra pas couler, l’ascension n’en est pas moins difficile. Pourtant habitués aux sentiers de montagne, celui-ci ne fait pas dans la dentelle. Des portions bien raides dans de gros cailloux nous demandent l’aide de nos mains pour atteindre Le Chinois (le sommet) en un peu plus de 2h. Il est rare que le sommet se découvre de ses nuages, mais aujourd’hui, le spectacle est à la hauteur de l’effort! Depuis les 1’728m, on voit la Dominique au nord et la beauté des côtes martiniquaises à 360 degrés.

Les jours se succèdent rapidement et il est temps pour nous de savoir où nous allons continuer nos aventures. Les côtes mexicaines du Yucatan sont difficiles à atteindre en bateau. Entre ferries, croisières ou encore voiliers, il n’est pas facile de rejoindre le continent sans prendre l’avion. Après plusieurs réflexions et discussions avec amis et connaissances, on décide de laisser le Mexique pour une autre aventure. Cela faisait longtemps que nous voulions partir à la découverte de la Patagonie, et c’est donc naturellement là-bas que nous emmènerons nos Björn et Sirius. Une aventure sous d’autres latitudes où les éléments nous rappellerons certainement notre place dans ce monde. Sommes-nous prêts pour un voyage là-bas? Espérons que les deux premiers mois à vélos dans notre petite Europe nous auront suffisamment préparé pour le troisième volet de notre voyage, là où le rupio remplace souvent le bitume mais où les paysages grandioses nous ferons peut-être oublier la rudesse du climat qui garde ces contrées à l’état brut et sauvage.

4 réponses à “La Martinique”

  1. Superbe article! Encore, encore!

    Prenez soin de vous et bonne suite dans vos nouvelles aventures. Et comme on se dit de cyclistes à cyclistes: may the backwind be with you!

    1. Merci Vincent 😊
      La suite ça va être pour très vite …
      « Le backwind dans le dos tu l’auras, mais n’oublie pas que ce vent-là, bien longtemps, ne restera » aïe aïe aïe … ça va piquer!

  2. Hâte de lire la suite!!

    1. Merci Kinda !
      Elle arrive cette suite, on est à nouveau sur les roues !!

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