Des plaques suisses, valaisannes de surcroît! Scruter les plaques des voitures qui nous dépassent était devenu un automatisme. On adorait faire ça en France et se féliciter de reconnaitre certains départements, ou halluciner du nombre incalculable de voitures allemandes et hollandaises croisées. La rareté des plaques suisses déclenchait toujours une joie étonnamment grande et on se voyait toujours leur faire signe à grands coups de bras pour attirer leur attention, puis les regarder se fondre dans le paysage avec nostalgie. Mais ces plaques-là, ce n’était pas n’importe lesquelles. On les connaissait bien, surtout le camping car qui les arborait fièrement. Ce n’était autre que celui de Bruno et Christine, la maman de Pierrick! Pour une fois, ce n’était pas nous qui gesticulions le plus et nous étions heureux d’être dépassés à coup de gais klaxons et avec des mines qui en disaient long sur le bonheur de nos retrouvailles!
Ça aurait été drôle que ce soit un hasard mais croiser par hasard de la famille au détour d’une route espagnole aurait relevé de la magie! Nous savant toujours à une distance encore raisonnable, Christine et Bruno étaient venus nous retrouver pour passer quelques jours avec nous, et profiter de ce moment pour découvrir d’autres recoins de l’Espagne. Après une nuit au bord de la mer, nous avons pris la route, à vélo et en camping car, en direction des terres.
Après plusieurs jours passés sur la côte qui, il faut l’avouer, est très vite monotone, retrouver des paysages plus sauvages nous réjouissait beaucoup. La végétation était luxuriante: palmiers à perte de vue, vergers avec toutes sortes de fruits parfois difficiles à reconnaitre en roulant, des oranges qui évoluaient en kaki, des citrons verts qui devienaient jaune, des olives qui se muaient en amandes, l’impression d’avoir aperçu des mangues (ou était-ce un mirage?), le tout agrémenté de quelques châteaux arabes. Petite halte dans le village de Carcaixent à l’orthographe impossible à retenir, où nous avons mis du temps à dénicher un café ouvert et où toutes les vitrines de magasins se cachaient derrière leur tôle. Nous pensions à des horaires de siesta étendus, jusqu’à ce que nos coups de pédales nous amènent, par un drôle de hasard, vers une rue où tout le village, de 7 à 77 ans, semblait s’être donné rendez-vous. Dans un espagnol approximatif, nous avons réussi à comprendre qu’il s’agissait tout bonnement de la fête du village annuelle! Un joyeux moment de fanfare typique, avant de rejoindre notre destination du jour: Xàtiva.
J’étais curieuse de découvrir ce village dominé par son château et ses imposantes murailles crénelées érigées par les phéniciens. Nous y installerons notre campement et partirons découvrirons le village et ses environs à bord de nos 4 vélos, poursuivis par une odeur particulière de javel qui nous laissait perplexe. A force de renifler toutes sortes de plantes et d’arbustes, nous avons enfin pu identifier le suspect: un arbre de la région que nos compétences botaniques et googlistiques n’ont toutefois par réussi à nommer. Au matin, découverte de la ville sous un autre angle plus en hauteur, celle du château, avant de se diriger vers un autre village des environs, le village médiéval de Bocairent, perché sur sa colline. C’est en prenant une très jolie route dans un décor de roche et de gorges, qui n’étaient pas sans nous rappeler le Val Verzasca, qu’on y arrive, 50 km et 1000m de dénivelé plus tard (ça réveille!).
Accueil super chaleureux de Roger, un hollandais qui avait élu domicile en Espagne avec sa femme pour échapper à la grisaille du nord. 17 ans plus tard, il sont toujours heureux d’y être et tiennent une petite Finca (les maisons de campagne espagnoles typiques) avec autant de charme qu’évoque son nom: Villa Carmen. Ce discours, on l’entendra plusieurs fois par la suite. Des couples ou des familles de hollandais qui viennent s’installer en Espagne, souvent avec chiens et enfants, à la recherche d’un eldorado de soleil et d’un endroit où le temps prend plus de temps à s’écouler.
Au réveil et après une nuit bien ressourçante, direction les caves Maures de Bocairent pour une visite des plus inattendues. Nous comprenons qu’un guide nous attend au pied des grottes et que “nous devrions en principe en revenir vivants”. Dieu merci! Le spectacle était insolite: une multitude de cavités étaient creusées dans la grande paroi rocheuse, comme des fenêtres réparties sur plusieurs niveaux. Nous tentons tant bien que mal de comprendre notre guide qui mettait beaucoup de coeur à nous expliquer l’histoire du lieu, avec un anglais toutefois très hispanique. A l’origine, les caves étaient construites comme des entités séparées, étant toutes dotées d’anneaux d’ancrage pour les cordes qui en permettaient l’accès. Elles auraient été construites à l’époque andalouse et servaient de grenier pour le stockage des denrées alimentaires hors de la portée des animaux. Certaines étaient assez grandes pour servir de refuge, mais ces théories n’ont pas pu être vérifiées. Avec le temps, elles ont été reliées entre elles, ce qui nous a permis d’en faire la visite… de bout en bout! Notre traversée-escalade était très ludique et nous laissera un souvenir mémorable.
Après 4 magnifiques journées avec Christine et Bruno, difficile de retenir notre émotion lorsque que nous les quittons pour continuer notre route en direction d’Alicante… Sur une jolie ruta-ciclista qui sillonne à travers les oliviers, nous faisons la connaissance en roulant de ce qui sera une de nos plus belles rencontres en Espagne: Tadéo, un cycliste espagnol originaire du coin. Il appelle plusieurs de ses amis pour nous trouver un hébergement en ville et nous donne plein de conseils pour bien manger dans les environs, notamment le plat typique de la région: l’arroz con conejo y caracoles, une paella à base de lapin et … d’escargots! Nos routes se séparent à regret, pour finalement se retrouver un peu plus loin autour d’un café et d’une glace. Il est pompier et oeuvre dans la protection des forêts. Nous en apprenons beaucoup avec lui sur ce domaine où les espagnols semblent précurseurs.
Nous posons la tente dans une autre charmante Finca: El Chico Rubio (le garçon blond). Un nom tout trouvé lorsqu’on voit accourir vers nous un garçon d’une dizaine d’années arborant un blond à faire tomber toutes les coiffeuses. Cette famille hollandaise, au sourire aussi généreux que leur allure, est vraiment charmante. Ils nous tendent deux bières locales à notre arrivée que nous dégusterons encore perchés sur nos vélos. Nous installons notre tente sur le tapis de fausse pelouse et commençons à nous préparer quelque chose à grignoter, quand de grosses gouttes de pluie commencent à déferler. Prise de panique à la vue de tout le contenu de nos sacoches éparpillé ci et là, je tournoyais sur moi-même, incapable de faire quelque chose d’utile et regardait Pierrick, toujours très efficace, lui. En deux temps trois mouvements, il avait tout réuni sous la tente et mettait nos vélos à l’abri. Epuisés de notre journée, nous nous endormons illico sans que les rafales et l’orage ne puissent avoir raison de notre sommeil.
Au matin, j’entends un “Mince, mon pneu arrière est plat” auquel je commençais à m’habituer et qui ne me faisait plus d’effet. Jusqu’au triomphant “Ah mais non, c’est le tien, c’est Sirius!!!”. J’avais de la peine à y croire mais c’était vrai, mon Sirius avait le pneu arrière plat. Mais, aussi prévenant qu’il est et en vélo très responsable, il a choisi le meilleur endroit et moment pour creuver pour la première fois après 2’000 km de route: A côté d’une grange à vélo qui disposait d’un étalage impressionnant d’outils de réparation, près d’une piscine où l’on pourra plonger le chambre à air pour repérer la minuscule sortie de bulles. Tadéo, même à distance, avait identifié l’arme du crime: une petite épine qui semblait très fréquente sur les routes à cette période! Une rustine et quelques dizaines de minutes plus tard, Sirius avait à nouveau fière allure et était prêt à repartir. Occupés à notre réparation, nous manquerons l’appel de Tadéo qui était venu nous retrouver avec des croissants achetés au marché du coin… Nous ne pourrons pas y goûter mais nous nous souviendrons longtemps de leur goût de générosité.
Petit passage par la ville d’Elche et sa gigantesque palmeraie: avec plus de 200’000 palmiers de 2’000 sortes différentes, ça fait beaucoup de zéros pour ce qui est tout simplement la plus grande palmeraie d’Europe! La palmeraie aurait été plantée par les phéniciens et “constitue un exemple remarquable de transfert d’un paysage typique d’une culture et d’un continent à l’autre”, comme énoncé par l’Unesco. Il est très agréable de se balader à l’ombre de ses palmiers et dans ses ruelles aux allures du jardin majorelle à Marrakech.
Alicante, notre destination européenne, n’était plus très loin. Difficile de croire que nous arrivions bientôt au terme de cette première étape de notre voyage. Le temps nous semble ambivalent: il est passé très vite lorsqu’on se rend compte des milliers de kilomètres parcourus, et très lentement quand on repense aux Alpes qui semblent tellement loin. Les derniers kilomètres à vélo étaient empreints d’une nostalgie presque palpable. J’avais les larmes aux yeux à réaliser tout le chemin déjà parcouru par la seule force de nos mollets et j’étais reconnaissante à la vie de ne pas avoir mis d’obstacles sur notre route. C’est dans cette ambiance que nous arrivons à Alicante. Björn et Sirius avaient hâte de voir le port duquel nous partirons bientôt pour l’Atlantique et nous y ont donc emmenés dès notre arrivée.
Avec son rocher caractéristique qui surplombe la ville, Alicante est une ville portuaire très accueillante qui affiche une énergie typiquement méditerranéenne. Ayant du temps avant notre départ en bateau, nous avons pris le temps de vivre cette ville au rythme de ses habitants, de jour comme de nuit. Desayuno tardif, balades dans les ruelles étroites et colorées de la vielle ville, sieste à l’heure où la ville se fige dans une gelée de sommeil et que les ombrelles peinent à retenir les rayons du soleil, visite du château médiéval de Santa Barbara juché en hauteur (au pas de course, contrairement aux locaux) pour admirer la vue dégagée sur la ville et la méditerranée, va-et-vient au Cortès Inglès et au Décathlon du coin pour nos derniers achats utiles avant le fameux départ.
Nous savions qu’Alicante serait aussi le moment de nos dernières retrouvailles familiales avant de prendre la mer: Norbert et Véro ont aussi profité de notre voyage pour venir à la découverte de l’Espagne et nous serrer dans leurs bras une dernière fois avant de partir. L’occasion d’une escapade en famille dans les magnifiques terres de la province d’Alicante, à la Finca Les Coves, pour profiter de la douceur de vivre de l’automne espagnol. Sportive escapade à vélo pour le duo père-fils, lecture au bord de la piscine glacée, bons plats cuisinés par Véro et apéros au soleil couchant. Sans oublier l’immortalisation du cadre par les doigts de fée de notre artiste-peintre. Tant de délicieux moments que nous prendrons avec nous, de l’autre côté de l’Atlantique.
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