- Björn ?
- …
- Björn ? demanda à nouveau Sirius avec un peu plus d’insistance. Mais Björn ne semblait pas vouloir répondre.
- Pourquoi tu ne parles plus ? Ça fait quelques jours que je te vois, là, dans notre chambre d’hôtel avec une petite mine. Quelque chose ne va pas ?
- Hum… tu sais bien, laisse-moi, fini par répondre Björn à son frère.
Björn, l’air triste était appuyé contre le mur de la chambre et regardait par la fenêtre tandis qu’il tournait le dos à son frère. Il avait gardé le maximum d’équipement qu’il pouvait sur lui, comme s’il avait peur de le perdre.
- Tu es triste, je le vois bien, disait Sirius de sa voix apaisante, depuis qu’on est arrivé à Alicante, tu n’es pas dans ton assiette. C’est le moment d’en parler, après, …
- Après quoi ? coupa soudainement Björn, ne pouvant plus contenir son émotion. Car après on sera dans un carton et il sera trop tard pour parler ? J’ai pas envie de retourner dans une boîte, qu’on me dévisse les roues, le guidon, pour me serrer dans ce petit espace.
- Allons Björn, ce n’est pas la même chose cette fois-ci, essayait de rassurer Sirius, mais je comprends, la première fois c’était traumatisant, transporté dans ce camion qui nous secouait depuis notre entrepôt. Mais ne t’inquiète pas, cette fois, on ne sera pas seuls, Rosette et Pierrick seront là, on part les quatre et il n’y aura pas de carton mais de belles housses de protection qu’ils ont trouvé pour nous.
- Je sais…, laissa échapper Björn qui continuait de regarder la fenêtre.
Après un petit moment de silence, il reprit.
- C’est juste que, … ça va être long. Ce que j’aime c’est rouler, partir à l’aventure, découvrir de nouveaux chemins, croiser d’autres vélos, discuter, voyager quoi. Tu imagines, 5 à 7 semaines sur l’eau sans rien voir d’autre ?
Sirius regardait son frère qui était toujours entre train de contempler la vue depuis la fenêtre.
- Qu’est-ce que tu regardes depuis la fenêtre, c’est pour te donner l’air mélancolique ?
- Non, je regarde l’horizon, depuis là, je vois la mer, elle me fascine et m’effraie. Toute cette immensité d’eau. Et pis, je repense à ce qu’on a vécu durant ces deux mois tous ensemble.
- Tu es quand même assez contradictoire.
- On l’est tous un peu Sirius, c’est ce qui fait de nous des vélos. Tu sais bien, chaque pièce qui nous constitue a un côté positif et un coté négatif – et encore ça dépend du contexte. Par exemple nos freins mécaniques ne sont pas très performants, mais Pierrick et Rosette peuvent les réparer facilement.
L’air un peu déconcerté, Sirius regardait son frère, qui d’habitude partait un peu dans tous les sens, avec intérêt et fierté mais préférait changer de sujet pour essayer de le sortir de sa petite tristesse.
- Raconte-moi la dernière anecdote de Pierrick et toi, repris Sirius pour casser ce petit moment de silence.
Il vit alors dans les yeux de Björn, qui s’était maintenant retourné vers lui, un petit air amusé.
- Haha ce Pierrick ! s’écria Björn, tu te rappelles quand nous arrivions à Alicante, plein de poussière? On s’est arrêté en chemin à une station de lavage pour voiture pour une petite session nettoyage.
- Oui je me rappelle bien, repris Sirius, Rosette disait que ça tombait bien, dernier nettoyage avant le bateau…
- Avant … le carton oui ! s’écria à nouveau Björn qui avait maintenant retrouvé son excitation habituelle. Enfin bref, tout beau tout propre, on repart direction notre hôtel quand Pierrick reçoit un appel. Rosette, pensant que c’était encore un de ces téléphonistes qui cherchent à vendre des assurances LAMAL, lui disait de ne pas répondre. Mais c’était un +34 qui appelait. L’indicatif espagnol. Après quelques hésitations, Pierrick répond.
- Oui je me rappelle, mais après je vous ai vu partir en trombe en sens inverse, je ne comprenais pas ce qui se passait, s’impatientait Sirius qui allait enfin comprendre ce qui s’était passé quelques jours auparavant.
- Oui on est parti très vite Pierrick et moi, répliqua fièrement Björn qui semblait avoir totalement oublié l’horizon qu’il contemplait il y a un instant. En fait, je n’ai rien compris sur le moment, je ne sais pas vraiment ce que Pierrick a retenu de son interlocuteur qui parlait espagnol, mais on s’est retrouvé à la même station service où un type nous tendait la petite sacoche Restrap que Pierrick … avait oublié avec tous nos documents d’identité, cartes de crédit, etc.
- Mais non ?!? S’exclama Sirius, habitué aux manières de Rosette qui contrôle toujours deux fois les endroits avant de partir plus loin. Quelle chance, à trois jours avant de prendre le large.
En même temps, Björn ne pu s’empêcher de se dire que sans les papiers il serait peut-être resté à quai. Mais ce que Björn ne savait pas, c’était comment le type qui travaillait à la station service avait eu le numéro de téléphone de Pierrick. Et bien, aussi incroyable que c’était, il y avait, dans le porte monnaie qui était resté dans la petite Restrap, un ticket de caisse de Decathlon avec le numéro de téléphone de Pierrick. Il avait, par erreur, imprimé le dernier ticket sans le jeter au lieu de se l’envoyer par e-mail comme il a l’habitude de faire à Decathlon. Dingue !
- A toi maintenant, s’amusait Björn, raconte-moi un truc sur Rosette.
Sirius leva la tête au ciel comme pour sentir l’air frais de la compagne lors de ses grandes sorties avec Rosette mais ce n’était que l’air froid de la clim de la chambre, ce qui le ramena à lui.
- Ce que j’aime avec Rosette, c’est qu’elle est toute novice encore dans le cyclisme. Alors que toi et Pierrick, je vous vois sbien quand vous roulez, et toi vous essayez de rouler dans un bon rythme, avec une belle trajectoire. Rosette, elle, prend le rythme de la musique qu’elle écoute. Soit elle fonce devant Pierrick et toi sur une chanson de Louise Attaque, soit elle m’arrête pour prendre en photos tous les fruits qu’on voit sur la route. Il y a toujours un truc de sympa et d’imprévu avec elle. Et pis, elle a toujours, toujours le sourire.
- Oui c’est bien vrai ça, elle a toujours le sourire.
- Et pis, reprit Sirius, quand on a commencé nos premiers km ensemble Rosette et moi, les sacoches pleines dans les montées de Martigny-Combe, on s’est un peu demandé si le projet était réalisable. Mais petit à petit, elle a pris confiance, gagné en agilité et en force. Quand elle a gravit les cols alpins en France, je savais qu’on pourrait aller n’importe où. On était devenu des chevaliers de la route et on savait qu’on pourrait aller jusqu’à Alicante, jusqu’au bout du monde et même jusqu’au bout de l’uni…
- Oui ! C’est bien vrai, coupa Björn qui ne voulait pas partir dans les métaphores de Sirius. Moi c’était plutôt la vie sous tente qui m’inquiétait avec Pierrick. Autant il adore faire des post Instagram de la tente, autant il avait un peu peur de devoir y dormir toutes les nuits. Mais, contre toute attente, il m’a dit qu’il dormait mieux qu’à la maison – enfin quelle maison vu qu’ils n’en ont plus. D’après ce que j’ai vu, Rosette et Pierrick on acheté le bon matos et c’était peut-être la clé pour que le voyage soit agréable.
- Sans oublier la pluie, continua Sirius. Je veux dire, le fait que nous n’ayons jamais roulé sous la pluie.
- Sacré coup de bol en effet, repris Björn. En même temps, j’aurais bien voulu tester ces sacoches sous un bel orage d’été haha.
Sirius, qui se rappela des derniers appels vidéos avec Vincent et Pauline, les amis de Rosette et Pierrick, un couple de tandemistes-voyageurs qui sont partis vers l’Est en mai dernier. Un projet fou, traversant tellement de pays, s’immergeant de plus en plus dans des paysages et cultures bien loin de ce que nous vivons en Europe, et Sirius dit:
- Tu n’aurais pas préféré la neige sur des cols à plus de 3’000 m d’altitude que franchissaient il y a quelques jours Urs et Bob ?
- Alors ça, c’est fou ! répondit Björn. Urs c’est quand même une machine, notre idole Sirius! En tirant Bob, qui porte les bagages sur son unique roue, dans les contrées les plus reculées des pays finissant en -istan où les températures sont bien en dessous de zéro, moi je préfère quand même un petit orage antillais de 15 min …
- Plutôt positif alors Björn, demanda Sirius à son frère avec un petit clin d’oeil.
- Ouais !
- Alors, cette pause sera bien méritée sur ce bateau non ?
Björn se retourna à nouveau vers la fenêtre en plissant cette fois un peu les yeux. Il n’y avait plus de mélancolie mais de l’envie. L’envie d’aller voir d’autres routes, d’autres chemins, d’autres cultures et mettre un peu plus à l’épreuve ce matériel high-tech qui ornait son beau cadre encore bien neuf finalement.
Sirius sentait lui aussi que le moment était arrivé de prendre un petit repos et de se laisser défaire de ses sacoches pour se faire bercer par l’océan pour les quelques semaines à venir
- Et comment ! finit par répondre Björn plein de satisfaction.
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