Au pays du Tzatziki

Un choc. Ça rebondit, puis un autre choc suivi de crissement de pneus. Ça bouge encore un peu, gauche-droite et les visages des 200 passagers du vol LH7154 se détendent: l’avion s’est posé. A travers le hublot, le décor ne ressemble plus aux paysages d’Amérique du Nord; c’est tout à fait normal, nous sommes à Athènes !

Athènes ?!? Mais que s’est-t-il passé ? Il y a quelques jours, nous étions en train de préparer notre suite de voyage depuis Vancouver en direction du sud, s’imaginant traverser les Etats-Unis du Nord au Sud en passant par les états sauvages de Washington, Oregon, Idaho, Utah et peut-être même Arizona. Et pourtant. Plus l’échéance du départ arrivait, plus nous avancions à reculons dans ce projet. Les raisons en étaient multiples, l’idée de passer les trois derniers mois de voyage dans un seul pays ne nous plaisait plus, la saisonnalité aussi allait contre nous; avril au nord et juillet dans le sud ne serait pas des plus agréables à vélo. Mais par dessus tout, l’appel de l’ancien continent était plus fort, quitter les villes quadrillées pour retrouver le désordre européen, retrouver la culture, les vieilles pierres des petits villages, l’Histoire. En effet, après avoir passé plusieurs mois en Patagonie et connaissant les Etats-Unis, on a eu le temps d’apprécier les étendues magiques des grands espaces et, pour clôturer le dernier volet de notre année, on a choisi un lieu assez loin de la maison pour profiter de ces derniers mois, un lieu qu’on ne connaissait pas: les Balkans.

En sortant de l’aéroport d’Athènes, l’histoire se répète un peu. En poussant nos cartons de vélo déposés en travers de notre chariot, on passe tant bien que mal les portes coulissantes de la sortie rien-à-déclarer pour déboucher là où s’accumulent les taxis. Après les 30 heures de voyage depuis Vancouver, on ne se voit pas refaire les vélos alors que la nuit est proche de tomber. On cherche alors un taxi capable d’enfourner nos deux giant boxes mais tous nous renvoient vers le minibus noir un peu plus loin. On négocie le trajet pour 80 euros, on a le droit a de petites bouteilles d’eau fraiche et même des cannettes de Coca Cola. C’est cher mais peu importe, on est en Grèce et on est content ! Il y a dans l’air comme un goût de Tzatiki, on sait qu’ici on va bien manger après ces mois sur le continent américain; le fromage aura du goût et le pain croustillera quand on mordra dedans.

On est aussi content d’arriver à Athènes car c’est ici que vivent Christos et Maria un jeune couple rencontré il y a deux ans au sommet de la Fenêtre d’Arpette en Valais lors d’une randonnée alors qu’eux étaient en train de finir leur tour du Mont-Blanc. A ce moment là, on était loin de se douter que la soirée passée en leur compagnie au camping Le Peuty à Trient, à discuter des spots de grimpe de la région tout en buvant une infusion aux fleurs des montagnes grecques, allait être le début d’une belle amitié et que nous aurions la chance de passer une petite semaine avec eux dans leur pays.

Avec Christos et Maria, la visite d’Athènes est sportive. Ils nous emmènent chaque jour au sommet d’une des multiples collines de la ville, que ce soit pour se dégourdir les jambes après leur journée de travail ou pour se préparer à une course de trail prévue dans quelques jours dans les montagnes du centre du pays. Les vues depuis L’Acropole, Lycabette ou encore la colline des Muses sont superbes. On prend beaucoup de plaisir à contempler la ville aux reflets chatoyants de fin de journée, et son agglomération de plus de 3.7 millions d’habitants qui surprend par la densité de ses maisons et bâtiments blancs. En marchant dans ces ruelles, on découvre et redécouvre plusieurs quartiers comme bien sûr la Plaka, le plus ancien quartier situé au pied de l’Acropole avec sa place bien connue de Monastiráki ou, plus loin, la place Syntagma faisant face au bâtiment du Parlement. Durant cette fin avril, on a aussi eu la chance de vivre un phénomène qui arrive parfois ici; une atmosphère orange et épaisse due au sable du Sahara poussé par les vents du sud laissant la ville dans une tinte jaunâtre où l’air se confond avec la couleur des maisons et monuments de l’Antiquité.

On joue à déchiffrer l’alphabet grec, souvenirs de nos cours de maths. On comprend aussi que l’endonyme de la Grèce, ou nom donné au pays par sa population locale, est Ellada (Ελλάδα) ou Hellas et ce depuis la plus haute Antiquité, alors que l’appellation Grèce serait son exonyme, le nom utilisé par les étrangers, initialement employé par les turcs. Après les cours de maths, on pourrait se pencher sur l’étymologie et s’amuser à décortiquer les préfixes et suffixes de nos langues actuelles, issues de l’héritage grec. Impossible également de ne pas évoquer la mythologie ! Une branche d’ailleurs enseignée dans les écoles et qui n’est pas en option. Tout un panel culturel dense dans lequel on est plongé et qui contraste avec les derniers mois vécus sur le nouveau continent. Mais voilà, ce dernier volet ne se termine pas ici et il est temps de dépoussiérer Björn et Sirius du sable du désert des derniers jours qui les avait bien recouverts et de se lancer à la découverte de ce pays.

Premier col grec

Cap au Nord-Est, en direction d’Amfiklia, le village au pied du Mont Parnasse où se déroulera la course de trail à laquelle nos amis nous invitent à participer aussi. On se donne rendez-vous dans deux jours, estimant que c’est le temps nécessaire pour parcourir les 150 km qui nous en séparent depuis la capitale. Nos amis, eux, n’auront besoin que de 2h pour faire la route… en moto ! Comme après chaque longue pause, on commence à pédaler avec un grand sourire comme si le monde du vélo s’offrait nouvellement à nous. Il faut par contre s’habituer au trafic de voitures qui, lui, n’est pas habitué à voir rouler des cyclistes dans cette grande ville. Petit à petit, le tumulte de la ville s’estompe, les grands bâtiments disparaissent laissant la place aux campagnes et collines où sont lovés les premiers villages. Les routes sont vallonnées, plus petites. Le monde urbain disparu, on voit apparaître les premières fermes et, déjà, un nouveau danger nous guette, quelque chose qu’on avait oublié: les chiens. Errants mais pas méchants, c’est les chiens de bergers dont il faut se méfier. Des molosses. Souvent détachés, ils nous aboient dessus férocement quand on approche des fermes dont ils sont les gardiens. Plusieurs fois, face à la meute prête à nous courir après, on décide de rebrousser chemin pour choisir à contre coeur la route principale, abandonnant ainsi les sentiers de gravier. C’est sans doute le côté difficile dans les campagnes grecques quand on voyage à vélo mais, au fur et à mesure des jours, on anticipe mieux cet aspect en repérant les chemins où rodent les canins.

En arrivant à Amfiklia, fatigués de ces deux bonnes premières journées sur la selle, on se laisse emporter par l’ambiance de fête qui emplissait le village. Les chansons rétros passent en boucles, The Final Countdown et The Eye of the Tiger accueillent les coureurs du petit parcours qui passent la ligne d’arrivée en levant les bras. On est samedi soir, la fête bat son plein. Tout le monde est sur la grande place, faisant la queue devant le stand de pâtes aux champignons. C’est à ce moment-là qu’on voit débarquer Christos et Maria en habits de moto, affamés eux aussi du trajet sur leur deux roues. On est content de se retrouver pour partager ce petit weekend ensemble. On s’inscrit pour le tracé de 12 km avec ses 900m D+ et on reçoit un joli t-shirt bleu clair en plus du sourire des organisateurs qui sont contents de voir des touristes participer à la course. On nous offre même la possibilité de dormir dans l’école, à coté de la salle de gym tout près du départ !

Prêt à en découdre avec ce trail du Mont Parnasse qui fait une joli boucle au dessus des gorges, je me lance sur ce tracé plutôt technique qui me rappelle certaines courses de montagne dans les Alpes. Ça fait du bien de troquer le short de cycliste et de chausser les Hoka pour chauffer ces cuisses dans les cailloux du Parnassus ! L’ambiance est super, les bénévoles nous encouragent tout au long du parcours, les ravitaillements sont exotiques avec oranges au sel ou loukoums pour le shot de sucre. Ici, pas de gobelet en plastique et si tu n’as pas de gourde à remplir, on te soulève directement le jerrican d’eau pour que tu puisses y boire ! À la fin du weekend, on remet le trousseau des clés de l’école à son adorable directeur du gymnase qui nous prend chaleureusement dans les bras, et on se promet de revenir courir le parcours des 25 km. Mais c’est surtout le coeur lourd qu’on se sépare de nos amis qui eux repartent en direction d’Athènes alors que la route nous appelle plus au nord pour découvrir les Météores.

Depuis qu’on a quitté Athènes en direction du nord, on ne cesse d’être étonné par les paysages de la Grèce. Quand on pense à ce pays, on a en tête un pays sec, des collines et des falaises de calcaire jaune qui donnent leur couleur aux maisons. On pense aussi aux ruines, aux anciennes civilisations. Mais plus notre route nous guide au nord, plus les paysages changent, même complètement. Les collines deviennent verdoyantes, des rivières et des forêts surgissent un peu partout. La topologie est aussi très montagneuse et c’est dans ce contexte qu’on avance en direction des Météores. La dernière portion, un plateau plutôt agricole et très plat, nous laisse apercevoir au loin ces immenses falaises de grès. On y arrive par une petite route de gravier qui sillonne dans les champs avant de s’arrêter à leur pied. C’est impressionnant: Plusieurs monastères, encastrés dans ces murs naturels vertigineux, surplombent les deux villages de Kalabaka et Kastraki. On y restera quatre nuits pour profiter de ce magnifique site, d’un peu de repos et de se remettre d’une petite crève.

Avant de rejoindre l’Albanie, on enfourche Björn et Sirius qui sont toujours partant pour faire du dénivelé et aller découvrir le parc national Pindos, connu des touristes pour les imposantes gorges de Vikos et conseillé par Christos et Maria. On peut les observer après une petite marche depuis le charmant village de Monodendri, ou y accéder par la route. Depuis Meteora, il nous faudra trois jours pour rejoindre cet endroit, trois jours dans un lieu unique au milieu de forêts. Après une nuit en haut d’un col au bord d’une rivière, nous nous arrêtons au premier village pour faire quelques courses, n’ayant plus de vivres. Une villageoise nous explique que les supérettes sont fermées pour la journée et nous dit de l’attendre quelques minutes. Elle revient de chez elle avec un sac empli de provisions: des sandwichs fait maison, des oeufs durs, de la brioche, des tomates, des concombres. On était comblé par tant de gentillesse! La route nous emmène ensuite sur un plateau en altitude où on rejoint le magnifique lac de Techniti Limmi Aoou. On est réellement émerveillé par la beauté de cette facette de la Grèce qu’on ne connaissait pas. 

Un matin, en train de plier notre tente dans le village de Doliani, on voit passer deux cyclistes qui ne semblent pas nous avoir vu. Une heure plus tard, en train de faire une pause et sécher leur tente, ils sont là; eux aussi remontent vers le nord. C’est Samuel et Marion, un jeune couple parti de chez eux en France vers l’Italie et qui traversent comme nous les Balkans. On passe la journée ensemble où les km défilent rapidement entre discussions sur les vélos et pause-déjeuner au pied du pont Lazaridi, un des multiples ponts romains visibles dans la régions. Notre route se sépare après une belle journée à pédaler ensemble où le temps était un peu comme suspendu, mais il y a quelque chose qui nous dit qu’on va se revoir. Très sportifs, ils adorent les montagnes, les routes sauvages et ça tombe bien, car aux Balkans, il y en a plein !

Rencontre avec Samuel et Marion

Se balader dans le village de Monodendri est très agréable. Les maisons, toutes en pierres, sont reliées par de petits chemins en pierre eux aussi. À chaque mètre, une rangée de pierres un peu plus haute forme un petit barrage permettant d’écouler l’eau sur le coté lorsqu’il pleut. Un système ingénieux inventé par une ancienne civilisation ayant occupé ces régions. Alors qu’on se balade à pied, reposant nos jambes de ces montées, le petit restaurant Pita tis Kikitsas retiendra notre attention avec sa jolie terrasse qui nous fait de l’oeil. Ici, ils servent leur spécialité, l’Alevropita, une grande galette de pâte fine au fromage, mais c’est la soupe aux haricots géants avec une tarte aux épinards qui seront à l’honneur ce soir. Un petit repas bien mérité après la petite randonnée qui nous permettra d’atteindre le promontoire qui donne sur les vertigineuses falaises des gorges de Vikos.

Gorges de Vikos

Une petite aparté sur la faune locale. En plus des chiens dont nous avions l’habitude en Patagonie, nous n’avions pas anticipé un autre facteur animalier inquiétant quand on voyage à vélo, quelque chose qu’on était content de laisser au Canada et Etats-Unis: Les ours. Une fois que les billets d’avion pour Athènes étaient bookés, des amis nous informaient “Ha ! Mais dans les montagnes des Balkans, il y a aussi des ours, des bruns du genre Grizzli même” Hum… C’était un détail auquel nous n’avions pas pensé. Nous qui aimons le camping sauvage, nous n’avions encore jamais voyagé dans un pays où se trouvent ces impressionnants animaux. En plus des ours, il y a les loups mais, ce qui est le plus à craindre selon les autochtones, ce sont les sangliers ! On se sent vite tout nu à dormir dans la nature, protégé par une toile de tente, quand on imagine des pairs d’yeux jaunes qui nous observent de l’extérieur. Notre imaginaire va souvent au delà de la réalité; les peurs refont surface quand la nuit tombe, à l’image des contes pour enfants qu’on aimait écouter dans nos chambres. Il est vrai que, vivant en Suisse, l’Ours et le Loup ont depuis longtemps quitté nos vallées, nous faisant oublier comment vivre avec ces animaux depuis plusieurs générations. En réalité, ces animaux sauvages restent sauvages et il est très rare d’en voir. Craignant l’Homme peut-être même plus que nous les craignons, nous avons peu de chance de croiser leur chemin. L’ironie de tout ça, c’est de réaliser qu’un animal domestique était plus à craindre que le grand méchant Loup. 

C’est dans le joli petit village des montagnes, Doliani, que nous l’avons vécu. Les habitants nous proposaient de dormir à coté de l’église dans leur village, un endroit tranquille et apaisant. Dans un pays comme la Grèce où les campings sont rares, les églises sont souvent une bonne option; il y a de l’eau courante et un petit terrain en herbe plat pour y monter la tente. Cette nuit là, alors que le village s’endormait et que la nuit était tombée, un bruit nous réveilla soudainement. Rosette sans respirer me pince le bras en me disant: “il y a quelque chose dehors”. On entendait des bruits de pas qui marchaient autour de la tente, le souffle d’une bête à quelque centimètres de nos têtes et le silence se rompit avec l’aboiement d’un gros chien. Autant vous dire qu’à ce moment là, les petites araignées qui essayaient toujours d’entrer par les brèches entre les fermetures-éclairs étaient le derniers de nos soucis. Tous nos sens étaient en alerte. L’immense molosse, le gardien de la ferme d’en bas était bien décidé à défendre son territoire. Dans ces moments là, coincés, en sueur dans notre sac de couchage, on ne sait pas quoi faire. Ne pas bouger, parler, crier, sortir ? Un manège qui a duré toute la nuit, se terminant au chant du coq à 5h30.

Nous continuons notre route vers le nord et voilà que la frontière albanaise apparait déjà. On se réjouit de découvrir cette nouvelle région mais il faut aussi faire le deuil de ce beau pays, Hellas, qui nous a beaucoup donné durant ces deux semaines. À chaque fois que je vais en Grèce, il y a toujours comme un crochet auquel j’oublie quelque chose en partant. Le signe qu’on laisse une petite part de nous pour mieux revenir. Si une fois c’était un topo de grimpe dans le gîte de Darie à Kalymnos, cette fois-ci ce n’était pas nécessaire, car durant ce séjour, nul besoin d’oublier quoi que ce soit pour avoir envie de revenir retrouver Christos et Maria, aller courir en montagne ensemble ou simplement siroter du thé des montagnes en leur compagnie.

8 réponses à “Au pays du Tzatziki”

  1. Avatar de Pierre-André

    Salut les randonneurs,
    super votre diaporama sur la page d’accueil .
    J’aime le ton de vos récits… et que d’images ds la tête!
    Allez, bonne route,
    Pierre-André

    1. Salut Pierre-André,
      Merci pour ton message, ça fait plaisir. On a pris un petit jour de pause pour soulager un peu nos montures et profité d’améliorer un peu notre site 😊
      On se réjouit d’écrire la suite car les Balkans c’est vraiment génial.

      À bientôt !!

  2. Avatar de Christine Lecomte
    Christine Lecomte

    Juste des becs !
    On part vendrefi en fin de journée 🥳

    1. On se réjouit de vous voir bientôt 😀

  3. Avatar de Vincent Demotz
    Vincent Demotz

    Salut les deux!

    Que de magnifiques paysages et de belles rencontres.

    On adore se ballader avec vous au gré de vos récits.

    Bonne remontée vers le nord!

    1. Salut Vincent et Pauline,
      Merci pour le message, on se réjouit de bientôt bifurquer ouest pour venir vous retrouver chez vous 😊
      Entre temps on va essayer de vous embarquer encore un peu dans ces récits.
      Bientôt les amis !

  4. Avatar de Patrick Zeiter

    Et comme a chaque lecture sur votre blog on en prend plein les yeux, merci

    1. Merci Patrick ! Ça fait plaisir !!

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